
LeMonde Job: WMQ1610--0001-0 WAS LMQ1610-1 Op.: XX Rev.: 15-10-99 T.: 11:18 S.: 111,06-Cmp.:15,11, Base : LMQPAG 42Fap: 100 N
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ANNÉE – N
o
17020 – 7,50 F - 1,14 EURO FRANCE MÉTROPOLITAINE FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY – DIRECTEUR : JEAN-MARIE COLOMBANISAMEDI 16 OCTOBRE 1999
Allemagne, 3 DM ; Antilles-Guyane, 9 F ; Autriche,
25 ATS ; Belgique, 45 FB ; Canada, 2,25 $ CAN ;
Côte-d’Ivoire, 850 F CFA ; Danemark, 15 KRD ;
Espagne, 225 PTA ; Grande-Bretagne, 1 £ ; Grèce,
500 DR ; Irlande, 1,40 £ ; Italie, 2900 L ; Luxembourg,
46 FL ; Maroc, 10 DH ; Norvège, 14 KRN ; Pays-Bas,
3 FL ; Portugal CON., 250 PTE ; Réunion, 9 F ;
Sénégal, 850 F CFA ; Suède, 16 KRS ; Suisse, 2,10 FS ;
Tunisie, 1,2 Din ; USA (NY), 2 $ ; USA (others), 2,50 $.
www.lemonde.fr
Samedi 16 octobre
France, la peur au centre
VILIAME SATALA et Waisake
Sotutu ne sont pas très connus en
France, pour le moment du moins.
Ce sont pourtant des hommes re-
marquables, particulièrement
quand ils jouent au rugby. Ils y
jouent de façon facétieuse, avec
une prédilection pour l’imprévisible
et l’irréalisable. Par exemple, ils
prennent le ballon d’une main – ils
ont les mains qu’il faut pour cela –
et traversent les lignes adverses,
passant entre des défenseurs frap-
pés de stupeur. Après les Nami-
biens, les Canadiens ont connu
cette situation: changés en pieux,
ils ont vu Satala et Sotutu faire en
s’étirant, virevoltant et souriant, du
slalom entre eux.
Satala et Sotutu sont fidjiens de
naissance et centres de vocation.
Satala est le plus grand (1,90m) et
le plus lourd (90kilos). Sotutu est
plus petit (1,82m) et pèse 87kilos.
Ils sont donc à peu près dans la
norme à la mode, légèrement en
dessous si on les compare aux
centres néo-zélandais, qui at-
teignent le quintal. Mais là n’est
pas l’essentiel. Si Satala et Sotutu
inquiètent leurs vis-à-vis, c’est
moins pour leurs anatomies d’ath-
lètes que pour leur goût de l’impro-
visation. L’un des frères Rauluni –
tous deux demis de mêlée, c’est fa-
cile – récupère prestement la balle
après une touche ou une mêlée. Il
la passe promptement à Nicky
Little, demi d’ouverture du genre
précis et flegmatique, qui la passe
aussitôt à Satala ou à Sotutu. A
partir de cet instant, tout peut arri-
ver, la percée, le crochet extérieur
ou intérieur, la passe croisée, la vol-
leyée, la sautée, la double sautée
avec récupération en l’air d’une
main. Ils feraient un saut périlleux
en même temps, on n’en serait pas
surpris outre mesure.
GÉNÉROSITÉ ET ÉGOÏSME
Rien de tout cela ne serait trop
grave si Satala et Sotutu ne
jouaient contre les Français, samedi
16octobre à Toulouse, et si les mat-
ches, de plus en plus, ne se ga-
gnaient au centre, comme les élec-
tions. Une ligne d’avants solides,
organisés, bons plaqueurs, ça se
trouve un peu partout, d’Argentine
en Irlande, des Samoa au Canada
et jusqu’en France. Il y en a de plus
cohérentes que d’autres, de plus
vives, de plus puissantes, mais en-
fin elles tiennent à peu près toutes
le choc. Un arrière rassurant, œil
d’arpenteur, jambes d’étalon,
doigts de couturière, il en existe
quelques-uns, le Sud-Africain
Montgomery, l’Ecossais (d’adop-
tion) Metcalfe, le Néo-Zélandais
Wilson, le Gallois (d’adoption en-
core) Howarth, et tous se sou-
viennent des très grands et de
Blanco. Mais une vraiment bonne
paire de centres, c’est aussi rare,
aussi précieux qu’une bonne paire
de demis, comme en forment
Armstrong et Townsend en Ecosse,
Howley et Jenkins au pays de
Galles, Gregan et Larkham en Aus-
tralie.
Il faut, pour l’obtenir, deux très
bons joueurs, évidemment. Mais il
faut encore qu’ils sachent et aiment
jouer ensemble, avec alternance de
générosité et d’égoïsme, de super-
be et de dévouement. Avec des
combinaisons dont ils savent seuls
le tempo et la clé; avec des inven-
tions de dernière seconde qui ne
déconcertent pas le partenaire, le-
quel a eu la même idée au même
instant; avec des astuces dans le
placement et la course auxquelles
puissent participer les ailiers et l’ar-
rière – autre question de tempo.
Une telle harmonie s’obtient avec
peine. Leslie et Tait, les centres
écossais, y sont à peu près parve-
nus, tout comme Herbert et Horan,
les Australiens. Et donc, naturelle-
ment, Satala et Sotutu, les Fidjiens
qui filent entre les mailles. Dans ce
cas, l’efficacité est garantie. L’in-
verse n’est pas moins vrai, en
bonne logique.
GROSSE FRAYEUR
Et l’inverse, ce pourrait être la
France. La plus neutre des objecti-
vités contraint à observer qu’elle
n’a pas une vraie paire de centres ni
du reste une vraie paire de demis,
depuis que Carbonneau et Castai-
gnède sont blessés. Au centre,
contre le Canada et la Namibie, il y
avait Dourthe et Glas, ce dernier
peu convaincant. Cette fois, contre
Satala et Sotutu, il y aura Dourthe
et Ntamack. Dourthe plaque admi-
rablement bien. Il est du genre tei-
gneux. Ntamack peut gagner un
match sur un bond. Il est du genre
panthère. Mais sauront-ils jouer
ensemble, eux qui n’en n’ont pas
l’habitude? Grosse frayeur.
La mésaventure des Gallois n’est
pas de nature à rassurer. Ils étaient
chez eux, à Cardiff, dans leur stade
tout nouveau, tout beau. Ils allaient
écraser les Samoans... Pas du tout.
Leurs centres ont lâché des ballons,
leurs demis risqué des passes ap-
proximatives. Les Samoans, qui
n’ont commis aucune de ces fautes,
les ont battus, bien battus, avec du
style et de l’acharnement. Le match
s’est gagné et perdu au centre.
Les Anglais devraient méditer là-
dessus. Eux aussi sont en manque
de centres. Phil de Glanville mal en
point, Guscott le remplace. Mais il
a trente-quatre ans et ses pla-
quages sont rarement décisifs.
C’est ennuyeux, parce que, vendre-
di, Guscott devra s’opposer aux ini-
tiatives de Taumalolo, Vunipola, Fi-
nau et compagnie, Tonguiens au
naturel ardent – des types dans le
genre de Satala et Sotutu. Aux uns
et aux autres, il faudra vaincre pour
ne pas disparaître et avoir le plaisir
de rencontrer ensuite le vaincu de
France-Fidji. Cette perspective
n’est rassurante pour personne –
surtout pas pour les Français. L’an-
goisse monte.
Philippe Dagen
DOUTE
Lors de leurs deux premiers
matches, contre le Canada
et la Namibie, les Tricolores
n’ont rassuré
ni leurs supporteurs
ni l’encadrement
du XV de France
(de gauche à droite):
Jean-Claude Skrela,
Pierre Villepreux et Jo Maso.
LA CHRONIQUE
DE FRANCIS MARMANDE
Haka, kawa
et tawake
WAISALE SEREVI est le plus
inspiré des Fidjiens, qui pratiquent
tous un rugby inspiré. Brad John-
stone, ancien pilier de Nouvelle-
Zélande, les entraîne: un pilier,
pour leur apprendre la rigueur.
C’est vrai que la rigueur, les Fid-
jiens n’en débordent pas. Ils ont
tout le reste, plus des vertus dont
nul autre n’est pourvu, mais pas la
rigueur. La rigueur, tout le monde
en a. D’ailleurs, ça s’apprend.
Dans le monde du rugby, la plu-
part des êtres jouent au rugby;
certains jouent à se faire peur;
d’autres à se donner des pignes;
les Fidjiens, eux, jouent à jouer
pour jouer. Ils sont acrobates, fu-
nambules, jongleurs, matéria-
listes, dialecteux, poètes théorico-
pratiques; ils rient sans cesse ou
alors se recueillent, pratiquent la
méditation comme un Montois
coupe du saucisson, lévitent en
permanence sur une trinité très
sainte: exercice spirituel, mépris
de la propriété, talent prodigieux
pour l’allégresse. Plus le kawa.
Bref, on les aime de suite.
Quand ils jouent, ils swinguent,
se font des moqueries, gigotent les
bras comme des cerfs-volants, re-
muent des oreilles, cachent à vo-
lonté leur pif à la barbe de l’ad-
versaire, éclatent d’un grand rire
qui défait l’ennemi, se précipitent
dans l’axe pour, au dernier instant
– pfuit! – disparaître ; se volati-
lisent et se rematérialisent sous les
poteaux, passent la ligne des 22 en
marchant sur les mains, avalent le
ballon et puis le restituent; ne
songent qu’à courir et, quand ils
courent, ils songent; aiment par-
dessus tout l’esquive dans le jeu,
et, sous le jeu, l’esprit. Ils changent
le moment historique en instant
éternel. Et, parmi eux, il y a Wai-
sale Serevi!
Waisale Serevi est un génie pur.
C’est le seul joueur de rugby qu’on
ait vu plaquer sans toucher un poil
de l’adversaire. Il n’a pas besoin de
toucher, l’action avorte d’elle-
même. Serevi fait ses tours de ma-
gie, pour des raisons qu’il serait
long d’expliquer, à Mont-de-Mar-
san. Son jeu exulte de douceur et
de joie. Quand il tape (toutes ses
balles passent entre les ba rres),
c’est comme sans frapper, et puis
il disparaît, ce qui est un art pré-
cieux dans le monde actuel.
Et le kawa? Le kawa, les Fid jiens
le boivent après. C’est tout un
mystère, une racine broyée. On
n’a jamais goûté, mais ça fait en-
vie. Celui qui prépare la mixture
dans un bol en noix de coco, le
premier à en boire, n’est pas le
premier venu. Ils chantent. Tous
les Fidjiens jouent de la guitare. Ils
sont d’une civilisation extrême. Et
le tawake? C’est leur rite guerrier,
sans vouloir tuer personne. C’est
un cri, un défi, une danse, qui se
donne juste avant le match.
Comme le haka. Le haka? Le rite
d’avant-match des All Blacks.
Le brave et sévère Johnstone a
peur des artisteries de Serevi. Pour
le match de Toulouse, il ne l’a pas
sélectionné. C’est la dernière
chance de l’équipe de France. Qui
regrette de n’avoir pas son petit
rite salvateur: Villepreux verrait
bien ce qu’il appelle de la «grande
musique», genre Cinquième de
Beethoven... Ça devrait pouvoir
marcher.
GABRIEL BOUYS/AFP
LES TEMPS FORTS
b
1
FRANCE
Déjà dans le doute à la veille de
rencontrer les Fidji, samedi
16octobre à Toulouse, dans un
match décisif pour l’accession
directe aux quarts de finale, les
Français comptent un blessé de
plus: le demi de mêlée Pierre
Mignoni, victime d’une
élongation. pages II et III
b
2
SAMOA
Les joueurs
polynésiens
emmenés par
Stephen Bachop
(photo)ont créé
la sensation de
ce premier tour
en dominant le pays de Galles
àCardiff (38-31). page V
b
3
HISTORIQUE
Le 18ju in 1995 , au Cap,
en demi-finales de la Coupe
du monde disputée en Afrique
du Sud, le géant néo-zélandais
Jonah Lomu renversait
àlui seul l’équipe d’Angleterre
et inventait ce jour-là le rugby
du XXI
e
siècle. page VII
b
4
BERNARD LUBAT
Batteur de Stan Getz, chanteur
aux Double-Six, pianiste,
accordéoniste, meneur de troupe,
poète, activiste... le créateur
du festival Uzeste musical
chante pour Le Mondela musique
qu’il préfère: le rugby. page VIII
FRANÇOIS GUILLOT/AFP
International ............. 2
France .......................... 6
Société.......................... 10
Régions ........................ 13
Horizons ...................... 14
Entreprises ................. 18
Communication ........ 20
Tableau de bord ........ 21
Aujourd’hui ................ 24
Météorologie, jeux .. 27
Culture ......................... 28
Guide culturel............ 30
Carnet........................... 31
Kiosque........................ 32
Abonnements............ 32
Radio-Télévision ....... 33
Le capitalisme rhénan
aux couleurs anglo-saxonnes
FUSION de Dasa et d’Aerospatiale
Matra après celle de Daimler et de
Chrysler, mariage de Veba et de Viag,
scission de Mannesmann, rachat de
Bankers Trust par la Deutsche Bank,
alliance Hoechst et Rhône-Poulenc :
en moins d’un an, l’économie alle-
mande aura connu de spectaculaires
rebondissements. Stratégiques pour
chacune des entreprises, ces mouve-
ments traduisent aussi l’évolution de
fond du capitalisme allemand sous la
double influence de la mondialisa-
tion et de l’ouverture à la concur-
rence. Peu après la chute du mur de
Berlin, Michel Albert, dans son livre
Capitalisme contre capitalisme, oppo-
sait les modèles « rhénan » et « néo-
américain » : l’économie sociale de
marché allemande, consensuelle et
orientée sur le long terme, semblait
seule en mesure de relever le défi
américain. Dix ans après, les milieux
économiques allemands respirent
comme jamais un air venu d’outre-
Atlantique.
Dans la forme, les mutations en
cours pourraient sonner le glas des
conglomérats diversifiés, qui ont fait
les beaux jours de l’industrie alle-
mande. C’est « la fin des Mischkon-
zerne », pronostiquait le quotidien
économique Handelsblatt après que
Mannesmann, ancien sidérurgiste re-
converti dans la construction méca-
nique et les télécommunications, a
annoncé en septembre la scission de
ces activités en deux entités auto-
nomes. Sans être toujours aussi radi-
caux, d’autres groupes ont entrepris
ces dernières années un vaste recen-
trage. Souvent à l’occasion de l’arri-
vée aux commandes d’une nouvelle
génération de patrons.
C’est Jürgen Schrempp qui a don-
né le ton, au milieu de la décennie,
en spécialisant Daimler dans les
transports, de la voiture à l’avion en
passant par le ferroviaire. Sous la fé-
rule de Jürgen Dormann, le groupe
chimico-pharmaceutique Hoechst a
aussi connu un bouleversement sans
précédent, dont l’ultime étape aura
été son mariage avec Rhône-Poulenc
dans les sciences de la vie. Siemens
est en bonne voie pour se séparer de
17 milliards de deutschemarks de
chiffre d’affaires d’ici à mars 2000
(8,7 milliards d’euros). Même les
grands conglomérats issus de l’éner-
gie n’échappent pas à cette évolu-
tion : pour mieux s’unir, Veba et Viag
annoncent la cession de près de
55 milliards de deutschemarks
(28 milliards d’euros) de chiffre d’af-
faires, d’ici deux à trois ans.
Philippe Ricard
Lire la suite page 15
LE MONDE RUGBY
a
Les doutes
du XV de France
a
Victoire surprise
des Samoa
Succession
au Festival
GILLES JACOB
LE CONSEIL d’administration du
Festival de Cannes a décidé, jeudi
14 octobre, de porter à sa présidence
l’actuel délégué général du festival,
Gilles Jacob, en remplacement de
Pierre Viot. Le nom du nouveau dé-
légué devrait être connu au plus tard
en janvier 2000.
Lire page 29
Tchétchénie : « Les Russes interdisent d’évacuer les blessés »
GROZNY (Tchétchénie)
de notre envoyée spéciale
« On n’a plus de diesel. On opère à la bougie, à
la lampe à pétrole ; le dernier générateur, d’un
kilowatt et demi, permet juste un minimum
d’anesthésie pendant les opérations », explique
Chamseddin Ikhaev. Il est le chef du départe-
ment de chirurgie de « l’hôpital 9 », le seul en-
core ouvert dans la capitale tchétchène, avec
l’hôpital pour les enfants, le « numéro 2 ». La
Russie a privé la Tchétchénie d’électricité, de
gaz et d’eau courante. Les hôpitaux ne font pas
exception.
Dès l’entrée dans le 9, vaste immeuble en
croix de cinq étages, on est saisi par les odeurs
pestilentielles, les couloirs obscurs où brillent
quelques bougies. « Nous manquons de tout :
pansements stériles, fil chirurgical, alcool,
iode... », dit Ikhaev. Pendant la première
guerre, en 1994-1996, le Comité international
de la Croix-Rouge (CICR) et diverses ONG ap-
provisionnaient l’hôpital. Mais depuis l’assassi-
nat, fin 1996, resté « mystérieux », de six
membres du CICR, celui-ci n’a plus que des re-
présentants locaux qui « n’amènent que très peu
de choses ». Le personnel ne reçoit plus de sa-
laires depuis trois ans.
La situation n’est guère plus brillante à l’hô-
pital pour enfants, même si une ONG alle-
mande a réussi à lui faire parvenir un conte-
neur de médicaments et d’équipement. «On
tient là-dessus depuis deux mois », dit le jeune
médecin Lema Vissorov. « Le CICR amène par-
fois des kits de perfusion, dit Vissorov. Et il y a
une semaine, on a reçu un fax de l’OSCE, disant
“on est avec vous”. Ça nous a fait plaisir... »
L’hôpital de Chali, au centre de la Tchétché-
nie, reçoit les très nombreux blessés des mon-
tagnes du Sud-Est. Il n’a pas reçu de fax, lui. Pas
le moindre secours depuis deux ans non plus,
selon le chef chirugien, Magomed Berekhanov :
« Ce sont les gens qui amènent tout, y compris le
kérosène. La situation est pire que lors de l’autre
guerre, on a maintenant 4O blessés. » Parmi eux,
Raïssa, neuf mois, amputée du pied gauche,
geint doucement dans les bras d’une tante.
A l’hôpital 9, le chirurgien Ikhaev résume la
situation : « Depuis les bombardements, nous
travaillons nuit et jour. On a eu plus d’une cen-
taine d’opérés, certains sont morts, les autres on
ne sait pas, car les familles les reprennent dès
qu’elles peuvent, souvent au bout d’un jour ou
deux. » Ainsi, tous les blessés du bus frappé par
un tir de char russe, le 5 octobre, soignés dans
cet hôpital, ne s’y trouvaient déjà plus le 12. La
veille, Kheiza Kavraeva, une fillette de dix ans
blessée à la tête, est morte à l’hôpital – 42
e
vic-
time civile de ce crime de guerre nié par Mos-
cou.
Au département de chirurgie, Aboubakar Ta-
ramov, un paysan de vingt ans de la région de
Naourski, dans le nord du pays occupé par les
forces russes, repose sur le dos, la gorge tran-
chée jusqu’aux oreilles. « Il était sorti le soir ra-
mener sa vache, il est tombé sur des Omons
[forces spéciales de la police russe]. Il a dû faire
le mort puis il a rampé, on l’a retrouvé au ma-
tin », dit un des hommes qui entourent son lit.
Une sonde placée dans la gorge lui permet de
respirer, de râler plutôt. « Il va mourir s’il reste
ici, mais les Russes ont interdit d’évacuer les bles-
sés sur l’Ingouchie », dit le chirurgien.
Une interdiction qui découle de la propa-
gande russe : tous les blessés de Tchétchénie,
victimes des « frappes précises des bombes, mis-
siles et obus russes » [les couteaux des Omons
n’ont encore jamais été cités], sont supposés
être des « terroristes à éliminer », et non des ci-
vils.
Sophie Shihab
SCIENCES
Aux origines
de la vigne
Le recours à la technique des em-
preintes génétiques vient de permettre
à des chercheurs américains et français
d’établir l’arbre généalogique des dif-
férents cépages cultivés aujourd’hui.
L’étude révèle que quelques-uns des
plus grands cépages de l’Hexagone
sont les descendants d’un couple végé-
tal où figurait le gouais blanc, une va-
riété de piètre qualité depuis long-
temps disparue. p. 24
MICK ROCK/TOP
Paris : les faux
électeurs
a
SELON les gendarmes, envi-
ron 800 « faux électeurs »
ont participé au scrutin municipal
de 1989 dans le 3
e
arrondissement
de Paris, qui avait vu la victoire de
Jacques Dominati (Démocratie li-
bérale, ancien Parti républicain).
L’enquête a permis de découvrir
plusieurs filières de recrutement :
certaines de ces inscriptions fic-
tives émanaient de membres du
RPR, d’autres venaient de la
Confédération générale des pe-
tites et moyennes entreprises
(CGPME) ou de sociétés où tra-
vaillaient des proches de M. Domi-
nati. « Les dossiers des faux élec-
teurs étaient bien sûr incomplets,
raconte un employé de la mairie. Il
n’y avait jamais d’attestation d’hé-
bergement ni de photocopies de fac-
tures EDF ou autres. »
Lire page 10
P. JORDAN/NETWORK/RAPHO
PORTRAIT
Julius Nyerere,
l’Africain
A la tête de la Tanzanie, il a incarné
l’indépendance de l’Afrique, mais aussi
un socialisme étatique qui fut un échec
économique et social. L’ancien pré-
sident Nyerere est mort, jeudi 14 octo-
bre, à 77 ans. p. 14
Les tests
génétiques
au secours
des innocents
aux Etats-Unis
DE PLUS EN PLUS utilisée,
l’identification des suspects par em-
preintes génétiques est en train de
provoquer des changements dans le
système pénal des Etats-Unis. Les
tests ADN ont permis de disculper
62 détenus, dont 8 avaient été
condamnés à la peine capitale et at-
tendaient leur exécution dans les
« couloirs de la mort ». Le nombre
d’erreurs judiciaires ainsi mis en lu-
mière donne de nouveaux argu-
ments aux abolitionnistes, qui
luttent contre la peine de mort et
dénoncent l’isolement croissant des
Etats-Unis sur la scène internatio-
nale des droits de l’homme. Ebran-
lée par un rapport d’experts sur le
sujet, la ministre de la justice, Janet
Reno, a recommandé aux parquets
d’autoriser la réouverture de procé-
dures classées.
Lire page 2
Aéronautique : naissance d’un géant européen
b
Le français Aerospatiale Matra et l’allemand Dasa fusionnent
b
Ils deviennent un géant
de la défense et le numéro trois mondial de l’aéronautique
b
EADS détiendra 75 % du consortium
Airbus
b
M. Jospin et M. Schröder y voient le signe d’un renforcement du couple franco-allemand
LE PREMIER ministre français
Lionel Jospin et le chancelier Ger-
hard Schröder se sont rendus à
Strasbourg, jeudi 14 octobre, pour
porter sur les fonts baptismaux un
nouveau groupe européen d’aéro-
nautique et de défense. Baptisé
EADS (European Aeronautic, De-
fense and Space Company), il est is-
su de la fusion entre le français Ae-
rospatiale Matra, détenu à 47 % par
l’Etat français et à 33 % par le
groupe Lagardère, et de l’allemand
Dasa, filiale du géant Daimler-
Chrysler. Cette future entreprise
franco-allemande, qui détiendra
75,8 % du consortium Airbus, de-
vance le britannique British Aero-
space et se classe numéro trois
mondial de l’aéronautique derrière
les américains Boeing et Lockheed
Martin.
Après plusieurs années de coopé-
ration européenne (Airbus, Aria-
nespace, Eurocopter), les deux par-
tenaires franchissent une étape
décisive. DaimlerChrysler détien-
dra 30 % de EADS, comme les Fran-
çais. Lionel Jospin s’est engagé à ra-
mener la part de l’Etat à 15 %. Les
40 % restants du capital seront en
Bourse. Cette fusion est essentielle-
ment le fruit de la ténacité de Jean-
Luc Lagardère, président du conseil
de surveillance d’Aerospatiale Ma-
tra, et de ses liens étroits avec le pa-
tron de DaimlerChrysler, Jurgen
Schrempp. Mais elle permet à la
classe politique des deux pays de
prouver que le couple franco-alle-
mand fonctionne de nouveau.
Après avoir rêvé d’une Europe re-
posant sur le triptyque Alle-
magne - France - Grande-Bre-
tagne, le chancelier allemand
cherche, depuis septembre, à favo-
riser l’axe Paris-Berlin. Les Alle-
mands ont pris conscience que les
Européens étaient, en matière de
défense, trop dépendants des Amé-
ricains. Le nouveau groupe jouera
un rôle essentiel dans la restructu-
ration de la défense européenne.
Lire pages 18 et 19
et notre éditorial page 15
REUTERS
LE NOBEL DE LA PAIX
Médecins
Sans Frontières
Le prix Nobel de la Paix a été attribué,
vendredi 15 octobre, à l’association
« Médecins Sans Frontières ». Cette as-
sociation humanitaire avait été créée
en décembre 1971, notamment par
deux médecins, Xavier Emmunueli et
Bernard Kouchner (photo). Baptisée à
l’origine « Secours médical français »,
elle a été rapidement connue sous le
signe MSF et a donné naissance à l’ap-
pellation « French doctors ». p. 34
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