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ENTREPRISES
LE MONDE / VENDREDI 16 AVRIL 1999
Vote massif à RVI contre la réduction du temps de travail
SUR LA CHAÎNE de montage, les visseuses se
sont arrêtées quelques secondes, le temps de
glisser un bulletin dans l’urne en carton. «Et
surtout, dites-leur bien que nous ne voulons pas du
travail le samedi », lance un ouvrier au petit
groupe de militants syndicaux qui se faufile, une
liste d’émargement en mains, entre les moteurs
de poids lourds.
A l’initiative de la CGT et de la CFDT, les 3 200
salariés de l’usine Renault Véhicules Industriels
(RVI) de Vénissieux (Rhône) ont été appelés à se
prononcer, mardi 13 et mercredi 14 avril, sur le
projet d’accord de réduction du temps de travail
proposé par la direction. A l’exception des
cadres (seuls 23 % d’entre eux se sont exprimés),
la participation a été massive chez les ouvriers
(85 %) comme chez les techniciens et agents de
maîtrise (65 %). Tous collèges confondus, le ré-
sultat est sans appel : 81 % des votants ont choisi
le bulletin « Non, l’accord n’est pas acceptable.
J’exige la poursuite des négociations ».
A l’échelle du groupe, le rejet du texte, soumis
jeudi 15 avril à la signature des organisation syn-
dicales, est encore plus net : plus de 83 % des
7 644 salariés consultés sur huit des neuf sites du
groupe RVI ont repoussé l’accord central, pré-
voyant une durée moyenne de travail de
35 heures par semaine à compter du 1
er
sep-
tembre 1999, avec maintien des salaires,
1 860 embauches sous contrat à durée indéter-
minée et 3 700 départs de salariés en fin de car-
rière sur la base du volontariat.
La consultation ne faisait pourtant pas l’una-
nimité parmi les cinq syndicats représentés à
RVI. Aux portes de la cafétéria de Vénissieux,
mardi midi, des militants de Force ouvrière, fa-
vorables au projet d’accord, distribuaient encore
des tracts dénonçant le « Pacs syndical » de la
CGT et de la CFDT. Mais dans les ateliers, le ré-
sultat du vote ne laissait aucune place au doute.
« Ici, l’annualisation ne passe pas du tout, ex-
plique Fabien, vingt-deux ans, employé depuis
trois ans aux essais moteurs. Les 35 heures, c’est
plus de temps libre dans la famille et pas six jours
par semaine sur la ligne. » Jean-Paul, trente et un
ans, a voté contre l’accord à cause des mesures
insuffisantes en matière d’emploi : « une baisse
des effectifs de 16 % en cinq ans, ça ne donne pas
confiance en l’avenir », estime-t-il.
UNE CONSULTATION « SANS AUCUNE VALEUR »
Le retrait des vingt minutes quotidiennes de
pause et des heures de formation du calcul du
temps de travail, la suppression des heures sup-
plémentaires comme la faible réduction du
temps de travail (1 h 41 par semaine) figurent
aussi parmi les motifs les plus fréquemment in-
voqués par les partisans de la poursuite des né-
gociations.
A 14 heures, Anthony, vingt-six ans, sort des
vestiaires, sa journée terminée. Il fait partie des
12 % d’ouvriers qui trouvent « l’accord de la di-
rection acceptable dans l’état actuel ». « L’accord
me suffit, explique-t-il. Quoi qu’on fasse, on s’y re-
trouvera. Et puis l’entreprise ne peut pas se per-
mettre de perdre trop par rapport à la concur-
rence étrangère. »
Dans les locaux syndicaux, les représentants
de la CFE-CGC ne pensent pas autre chose. «Il
ne faut pas tuer l’entreprise », prévient Jean-
Claude Orliange. Les cadres du site de Vénis-
sieux, qui bénéficient, avec l’accord, de dix jours
de congés supplémentaires, ont approuvé le
projet à 56 %. Ironisant sur les « problèmes mé-
taphysiques » de la CFDT, qui juge « néfaste »
pour les salariés de RVI l’accord « identique »
que la centrale de Nicole Notat a signé chez
Peugeot et Renault, le syndicat de l’encadre-
ment n’a pas caché son hostilité à cette consul-
tation « sans aucune valeur » des salariés.
Jean-Pierre Salignat, délégué central CFDT,
s’en moque. Pendant deux jours, il a vécu une
expérience « fantastique ». « La consultation
nous a permis de voir tout le monde, notamment
dans des secteurs où nous n’avons pas de mili-
tants », raconte-t-il. La cerise sur le gâteau, c’est
la forte mobilisation et l’ampleur du vote pro-
testataire qui ont dépassé toutes ses espérances.
« Cela fait des années que les salariés se plaignent
des réductions d’effectifs. Là, ils ont pu s’expri-
mer. »
Alexandre Garcia
REPORTAGE
A l’initiative de la CGT
et de la CFDT, les salariés se sont
prononcés sur le projet d’accord.
Une pause, le temps d’un vote
Les référendums sur les 35 heures se multiplient dans les entreprises
Syndicats et directions procèdent de plus en plus souvent à des consultations des salariés pour mesurer ce qu’ils sont prêts à accepter
en matière de réduction du temps de travail. Une pratique qui relance le débat sur la représentativité des élus du personnel
SOCIAL
Avant le vote de la se-
conde loi sur les 35 heures, et parce
qu’elles mesurent mal ce que les sa-
lariés sont prêts à accepter, entre-
prises et organisations syndicales
sollicitent de plus en plus l’avis du
personnel. b CETTE VAGUE de réfé-
rendums concerne des sociétés aussi
différentes que RVI, EDF-GDF, les
Transports Cabri de Saint-Brieuc, la
Caisse d’allocations familiales de
Quimper et le fabricant de valises
Samsonite. b AU MINISTÈRE de l’em-
ploi, on s’en félicite. « Les 35 heures
renforcent la négociation et l’expres-
sion directe des salariés », dit-on
dans l’entourage de Martine Aubry.
b MAIS TOUS LES RÉFÉRENDUMS ne
se ressemblent pas. Les uns sont or-
ganisés par les syndicats, parfois
contre l’avis des directions. D’autres
votes se font avec le soutien des en-
treprises quand ce ne sont pas elles
qui les suscitent pour contourner les
représentants du personnel.
Les salaires plutôt que l’emploi
chez Babcock Wanson
QUAND ils se sont lancés dans
les négociations sur les 35 heures,
en avril 1998, les délégués syndi-
caux CGT et CFDT de l’entreprise
Babcock Wanson de Nérac (Lot-et-
Garonne) ne pensaient pas « de-
mander la Lune ». Sans attendre
que « l’Etat impose sa loi », ils
comptaient inciter la direction à
proposer aux 165 salariés du site
« la meilleure solution possible pour
créer des emplois ».
Dans cette perspective, les délé-
gués des deux syndicats s’étaient
d’abord présentés sur la même liste
aux élections professionnelles, en
résumant leur unité d’action à un
seul point : aucun accord impor-
tant ne serait signé sans l’approba-
tion des salariés. Dans cette filiale
du groupe CNIM, spécialisée dans
la fabrication de chaudières indus-
trielles, la tenue régulière d’assem-
blées générales devait ensuite per-
mettre au personnel de participer à
l’évolution des négociations. De
son côté, la direction du site s’était
préparée à une mise en place ra-
pide des 35 heures en appliquant
une « modération salariale » dès le
début des négociations.
En juin, une majorité de salariés
acceptait l’essentiel des clauses né-
gociées entre syndicats et direc-
tion, en particulier une annualisa-
tion « mesurée » du temps de
travail, encadrée, selon les périodes
d’activité, entre 30 et 40 heures par
semaine. Seuls l’emploi et les sa-
laires restaient en suspens. La di-
rection, qui avait refusé les aides de
l’Etat pour ne pas s’engager sur le
nombre d’embauches, jugeait alors
« impensable » de reporter le coût
des 35 heures sur ses fournisseurs
ou ses clients. Les salariés s’oppo-
saient, quant à eux, à de nouvelles
restrictions salariales, à plus forte
raison si celles-ci ne devaient dé-
boucher sur aucune embauche.
UNE GRÈVE POUR NÉGOCIER
Au cours de l’été, la direction
suspendait les négociations en at-
tendant la signature d’un accord de
branche « plus favorable » dans la
métallurgie. Les discussions, qui
devaient se poursuivre à la rentrée,
n’ont jamais repris. Excédés par
« l’immobilisme » de la direction,
90 % des ouvriers du site s’enga-
geaient, le 29 mars, dans une grève
reconductible pour la réouverture
des négociations. « Nous voulions
surtout des augmentations de sa-
laires, explique une gréviste. L’em-
ploi, les 35 heures, on n’en parlait
même plus. »
Après une année de mobilisation
et une semaine de grève, la direc-
tion finissait par accorder
300 francs supplémentaires sur les
plus bas salaires. Dans le local du
comité d’entreprise, personne ne
savait, jeudi 8 avril, comment sa-
luer cette victoire, sans embauches
ni réduction du temps de travail.
« Le gouvernement nous laisse nous
débrouiller avec la loi », déplorait
Jean-Claude Seguin, de la CGT.
A quelques dizaines de mètres, le
responsable du site de Nérac, Phi-
lippe Leclercq, estimait être tombé
« dans l’écueil à éviter » en cédant
aux revendications salariales, à
quelques mois du passage obligé
aux 35 heures. Pour « continuer du-
rablement à servir une clientèle exi-
geante dans un marché toujours plus
sélectif et mondialisé », il n’exclut
plus, désormais, la possibilité d’ex-
ternaliser la production de chau-
dières.
A. Ga.
LA PRUDENCE commande. Du
coup, les référendums se multi-
plient. Dans l’attente de la seconde
loi sur les 35 heures, et parce
qu’elles mesurent mal ce que les sa-
lariés sont
prêts à accep-
ter, entreprises
et organisa-
tions syndi-
cales sollicitent
de plus en plus
l’avis du per-
sonnel pour
conclure un accord sur la réduction
du temps de travail (RTT). La
consultation des salariés, jusqu’ici
utilisée avec parcimonie, se répand.
Aucun bilan, au ministère de l’em-
ploi comme dans les confédéra-
tions syndicales, ne permet de me-
surer avec précision ce phénomène
mais sur le « terrain » la pratique
fait incontestablement recette,
quelle que soit la taille de l’entre-
prise ou son secteur d’activité.
Mardi 13 et mercredi 14 avril, la
CGT et la CFDT ont organisé un ré-
férendum chez Renault Véhicules
Industriels (RVI), à Vénissieux, dans
le Rhône. Au même moment, à Bel-
fort, la direction et les syndicats
d’Alsthom Gaz Turbines, filiale ra-
chetée par General Electric, dis-
cutaient ferme sur l’organisation
d’un vote pour les 2 000 salariés de
l’entreprise. La semaine précé-
dente, c’était une petite société
d’équipement sportif de 34 per-
sonnes, dans l’Ain, qui se pliait à
l’exercice. Joël Gomot a influé sur
ce choix. Délégué CFDT, il a déjà
étrenné la formule, en octo-
bre 1998, dans l’entreprise d’ameu-
blement, Roset, où il travaille. Pro-
mu négociateur « RTT » depuis,
dans tout le département, pour les
entreprises dépourvues de repré-
sentation syndicale, il est devenu
un partisan acharné de cette forme
de consultation. « Partout où je vais,
j’instaure systématiquement un réfé-
rendum », déclare-t-il.
« DÉMOCRATIE SOCIALE »
Cette vague concerne des entre-
prises aussi différentes qu’EDF-
GDF, les Transports Cabri de Saint-
Brieuc, la Caisse d’allocations fami-
liales de Quimper, le fabricant de
valises Samsonite ou les labora-
toires pharmaceutiques Scherring,
près de Roubaix. Au ministère de
l’emploi, on s’en félicite. «Les
35 heures renforcent la négociation
et l’expression directe des salariés »,
dit-on dans l’entourage de Martine
Aubry. La réduction du temps de
travail favoriserait donc la « démo-
cratie sociale ». Les syndicats, pas
très à l’aise, s’en servent plutôt
comme d’un outil qui leur permet
de mesurer jusqu’où ils peuvent al-
ler. La CFDT y est, globalement, fa-
vorable.
« La réduction du temps de travail
est un sujet sensible, qui bouleverse
tellement de choses que nous sommes
obligés d’en passer par là, affirme
Joël Gomot. Chez Roset, il y avait
plusieurs points qui nous gênaient :
les horaires ont été modifiés du tout
au tout et puis la pause de vingt mi-
nutes, par exemple, a été sortie du
temps de travail. » Toutes ces objec-
tions ont été balayées par le résul-
tat : 75 % des salariés ont approuvé
l’accord, assorti de 48 embauches,
proposé par la direction. Le réfé-
rendum a aussi permis de faire
pression sur l’entreprise, qui a fina-
lement accepté de préserver les
primes d’ancienneté. « C’est sûr que
les 25 % de contre n’ont pas appré-
cié. Le référendum nous a fait perdre
quatre adhérents mais on en a ré-
cupéré huit après », souligne M. Go-
mot. A moins de 60 % d’avis favo-
rables, la CFDT estime qu’il lui
serait difficile de ratifier un accord.
La pratique a ses limites.
La CGT insiste sur la consultation
nécessaire, « à tous les stades de la
négociation », des salariés. Observa-
teur attentif des 35 heures à la
confédération, Roland Metz est
partisan du vote dès lors qu’« il est
organisé par les syndicats ». « L’en-
jeu est important. Si la pression pa-
tronale est forte, il est normal que
l’on recherche l’appui des salariés. Et
s’il y a litige, le personnel doit tran-
cher », justifie-t-il. A ses yeux, c’est
aussi un moyen de contrer des pro-
jets qui ne seraient signés que par
des organisations minoritaires dans
une entreprise...
AVEC LE SOUTIEN DE LA DIRECTION
Les salariés deviennent donc ar-
bitres. Dans la société de transports
Cabri, à Saint-Brieuc, ils ont même
tranché des différends syndicaux.
Chez Mecatronic, sous-traitant mé-
canique dans l’Isère, le vote sur un
accord défensif – il ne crée pas
d’emplois mais en préserve – a été
organisé par la seule CGT. « En tant
que syndicat, nous devons prendre
nos responsabilités, mais nous vou-
lions vérifier que le personnel était
d’accord avec nous », commente
Philippe Benoit, le délégué. Ici, les
vingt à trente licenciements secs
ont été annulés mais le travail posté
introduit pour 90 % du personnel.
Tous les référendums ne se res-
semblent pas, loin s’en faut. Les uns
sont organisés par les syndicats,
parfois contre l’avis des directions.
La majorité des salariés d’une socié-
té de service, en Ile-de-France, a
ainsi repoussé un accord qui pré-
voyait une réduction de salaires.
D’autres votes, au contraire, se font
avec le soutien des entreprises,
quand ce ne sont pas elles qui les
suscitent pour contourner les re-
présentants du personnel. Les ques-
tions varient. Elles peuvent aussi
bien porter sur l’ensemble d’un ac-
cord que se limiter à des points pré-
cis. Ou prendre la forme d’un son-
dage : « Etes-vous intéressé par les
35 heures ? », « Souhaitez-vous que
des négociations s’engagent ? ».
La forme a son importance, aussi.
Parfois, la consultation se limite à
des assemblées générales, avec ou
sans votes. Parfois, elle ressemble à
des élections professionnelles, col-
lège par collège. C’est d’ailleurs
cette problématique qui agite en ce
moment Alsthom Gaz Turbines
(AGT), la direction, désireuse d’un
vote global, refusant la séparation
par collège...
Tout, dans les 35 heures, donne
matière à questions. Mais nul ne
mesure encore les conséquences,
demain, de cette implication directe
des salariés dans les relations so-
ciales. « Il ne faudrait pas en donner
l’habitude au patronat, qui pourrait
fonctionner ainsi par la suite et se
passer de nous... », s’angoisse Gilles
Peltier, délégué CFDT d’AGT, qui
hésite encore à s’engager dans cette
voie, tout comme la CGT, majori-
taire, et Sud.
Isabelle Mandraud
CFDT
CGT
FO
CFTC
CGT
1 412
651
534
544
264
bilan au
31 mars
NOMBRE
D'ACCORDS
Accords
sollicitant
l'aide
financière
Accords
éligibles, qui ne
sollicitent pas
d'aide
Accords
non éligibles
EFFECTIF
CONCERNÉ
EMPLOIS CRÉÉS
OU PRÉSERVÉS
NOMBRE
D'ACCORDS
SIGNÉS PAR LES
CONFÉDÉRATIONS
SYNDICALES
3 291 accords signés depuis juin 1998
Près de la moitié des accords (1 501 sur les 3 291) sont signés dans les
entreprises de moins de vingt salariés, qui ne seront pourtant concernées
par les 35 heures qu'en 2 002.
3 291 933 260 43 478
4
198
3 089
6 066
13 270
200 784
451 634
24 142280 841
total =
ACCORDS D'ENTREPRISES SUR LES 35 HEURES
La représentativité syndicale en question
COURAMMENT pratiquée – et
parfois même imposée – dans la
plupart des pays occidentaux, l’or-
ganisation de référendums dans les
entreprises a longtemps été regar-
dée avec une certaine suspicion par
les syndicats français.
Ne remet-elle pas en question la
sacro-sainte représentativité des
organisations confédérées ? Or le
code du travail est formel. Celle-ci
est irréfragable. On ne peut donc
pas la contester. C’est pourquoi un
accord peut être signé avec un syn-
dicat ultra-minoritaire, il est juridi-
quement inattaquable s’il ne remet
pas en cause des accords anté-
rieurs. Au contraire, les référen-
dums n’ont aucune valeur, excep-
tion faite lors de la mise en place
d’accords d’intéressement ou de
systèmes de retraite ou de pré-
voyance complémentaires.
Pourtant, la pratique du référen-
dum est ancienne. Sur les lieux de
travail, on ne compte plus les
consultations plus ou moins for-
melles organisées par les syndicats
avant de négocier avec l’employeur
la répartition des ponts ou des
congés payés.
Malgré tout, cette pratique a pris
une autre dimension depuis la fin
des années 80, lorsque au « tou-
jours plus » ont succédé les accords
« donnant-donnant ». Si les syndi-
cats n’éprouvaient pas le besoin de
consulter les salariés lorsqu’ils ob-
tenaient de nouveaux acquis, cette
vérification est devenue nécessaire,
dès lors qu’il s’agissait d’entériner
des concessions. Deux données
rendent cette nécessité encore plus
impérieuse : le très faible taux de
syndicalisation et la division syndi-
cale qui favorise davantage la su-
renchère que la prise de risques.
Paradoxalement, c’est une direc-
tion d’entreprise publique qui brisa
définitivement le tabou. Sur une
idée émise par Force ouvrière, alors
premier syndicat du personnel au
sol à Air France, Christian Blanc,
qui venait d’arriver aux
commandes de la compagnie, fit
approuver son plan de redresse-
ment par les syndicats mais aussi
par les salariés en avril 1994. Malgré
les réserves de certaines organisa-
tions (SNPL, CFDT...), 83 % des sa-
lariés prirent part au vote et 81 %
approuvèrent le plan de la direc-
tion.
OUVRIR LE DÉBAT
Dès lors, sans se banaliser, la pra-
tique cesse d’être exceptionnelle.
Selon une étude de la CFDT parue
en 1995, 7 % des accords sur l’em-
ploi auraient été précédés d’une
consultation des salariés. Ce sera
ensuite le cas d’accords très média-
tiques signés aux fonderies Bou-
hyer, à Thomson-CSF, chez
Brioches Pasquier ou à Bosch Ro-
dez, où la direction liait un inves-
tissement important au travail le di-
manche.
Souvent les modalités de l’orga-
nisation du référendum en disent
aussi long sur le climat qui règne
dans l’entreprise que le résultat lui-
même. En 1994, chez GEC-Alsthom,
à Belfort, la direction tente de
mettre fin à une dure grève en or-
ganisant un référendum. Celui-ci
est contesté par les syndicats, qui
en organisent un second quelques
jours après et aboutissent au même
résultat : la reprise du travail.
Comme par hasard, en décembre
dernier, la direction de ce même
établissement eut recours à un
huissier pour organiser un référen-
dum sur le temps de travail.
Parce qu’elles remettent souvent
en question l’organisation du tra-
vail, les 35 heures se prêtent évi-
demment à la consultation des sa-
lariés. Le fait même que personne
ne soit en mesure de chiffrer le
nombre de projets d’accords sou-
mis à référendum montre que cette
pratique se banalise. Plutôt que de
passer ce fait sous silence, mieux
vaudrait que l’Etat et les parte-
naires sociaux assument ce phéno-
mène pour ouvrir le débat sur la re-
présentativité. Le Centre des jeunes
dirigeants (CJD) propose que, dans
les entreprises sans syndicats, les
accords soumis à référendum
soient validés après avoir obtenu
l’aval d’une commission paritaire
locale où siégeraient l’administra-
tion et les partenaires sociaux. De
son côté, la CGT propose que seuls
les accords signés par des syndicats
majoritaires soient valables. Ces
propositions ont le mérite d’exister.
Car, au-delà de la multiplication des
référendums, la déliquescence de
certaines organisations syndicales
représentatives (CFTC ou CGC),
l’émergence de nouveaux acteurs
(UNSA, SUD), ou le développe-
ment du mandatement sont autant
de phénomènes qui montrent que
le statu quo est devenu intenable.
Frédéric Lemaître
ANALYSE
Depuis les années 80,
le référendum sert
à entériner les accords
« donnant-donnant »
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