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AUJOURD’HUI-SCIENCES LE MONDE / VENDREDI 16 AVRIL 1999 / 31
DÉPÊCHES
a ESPACE : des programmes d’un
montant total de 2,7 milliards
d’euros (17,71 milliards de francs),
couvrant la période 1999-2003, se-
ront soumis par l’Agence spatiale
européenne (ESA) aux ministres de
ses Etats membres, qui doivent se
réunir les 11 et 12 mai à Bruxelles,
ont annoncé, lundi 12 avril, à Paris,
les responsables de l’ESA. S’y
ajoutent douze programmes op-
tionnels, parmi lesquels Galileo, le
premier projet européen de naviga-
tion par satellite (pour un montant
de 500 millions d’euros, ou
3 279,78 millions de francs).
a Un satellite militaire américain
de détection, lancé, vendredi 9 avril,
de Cap Canaveral (Floride), a été
placé sur une mauvaise orbite, qui le
rend inutilisable. D’un coût estimé à
250 millions de dollars, cet engin de-
vait être intégré au réseau de détec-
tion des tirs de missiles, des lance-
ments spatiaux et des explosions
nucléaires. « Nous sommes toujours
en train d’essayer de le localiser », a
indiqué, lundi 12 avril, un porte-pa-
role de l’US Space Command, ajou-
tant que tout espoir de récupérer le
satellite DPS (Defence Support Pro-
gram) n’était pas encore perdu.
a VOLCANOLOGIE : le front de
lave qui s’écoulait depuis le 28 mars
sur le flanc du mont Cameroun
(350 km à l’ouest de Yaoundé), me-
naçant une agglomération d’un mil-
lier d’habitants (Le Monde du
7 avril), a dévié de sa trajectoire et a
ralenti en approchant de la côte.
Aucune maison n’a été touchée,
mais les autorités, craignant des
problèmes de pollution quand les
laves en fusion atteindront la mer,
ont décidé d’évacuer les villages
proches.
Les autorités américaines envisagent
un financement public
des recherches sur l’embryon humain
LES BIOLOGISTES américains
pourront-ils bénéficier, à court
terme, de crédits publics pour mener
des recherches sur l’embryon hu-
main ? Alors que des responsables
politiques et religieux s’opposent vi-
goureusement à une telle éventuali-
té, un comité d’experts chargé de
conseiller les autorités gouverne-
mentales de Washington vient de
rendre publiques des conclusions
très modérées.
Depuis 1994, une loi américaine
interdit de verser de l’argent public
aux équipes travaillant sur l’em-
bryon humain. Cette situation est
souvent qualifiée d’« hypocrite » par
les chercheurs européens, dans la
mesure où ces recherches ne sont
pas interdites dès lors qu’elles sont
financées par des fonds privés. L’an-
nonce récente que des chercheurs
américains avaient réussi à mettre
en culture des cellules embryon-
naires humaines « totipotentes »
(ou cellules-souches), capables de se
différencier et de donner naissance
aux différents tissus de l’organisme
humain (Le Monde du 7 novembre
1998), a bouleversé totalement les
données du problème. Les espoirs
thérapeutiques considérables ou-
verts par cette première, autant que
les perspectives scientifiques et fi-
nancières qui s’y rapportent, ont
conduit les responsables des Insti-
tuts nationaux américains de la san-
té (NIH) à tout mettre en œuvre
pour qu’un financement public soit
au plus vite autorisé.
Une commission de treize experts
désignés par Harold Varmus, Prix
Nobel de médecine et directeur des
NIH, vient de faire savoir dans
quelles conditions un financement
public pourrait, à l’avenir, être accor-
dé aux équipes américaines volon-
taires pour s’engager au plus vite
dans ce nouvel « eldorado scienti-
fique ». Elle recommande, tout
d’abord, d’interdire le financement
de travaux qui se proposeraient
– comme le fait un avant-projet de
loi belge (Le Monde du 7 janvier) –
de créer des embryons humains à
des fins exclusives de recherche, puis
de les détruire après utilisation. Elle
s’oppose, de la même manière, à la
création d’embryons par clonage.
Les experts des NIH préconisent,
en revanche, de ne pas interdire le fi-
nancement de travaux portant sur
des lignées de cellules totipotentes
déjà existantes (obtenues dans le
secteur privé), à la condition que ces
lignées soient issues d’embryons hu-
mains conçus pour des couples sté-
riles, mais ne faisant plus l’objet d’un
« projet parental ». Dans le même
ordre d’idées, un financement fédé-
ral pourrait être accordé à des tra-
vaux sur des cellules totipotentes is-
sues de fœtus provenant
d’avortements ou de fausses
couches.
CONTEXTE POLÉMIQUE
Cette prise de position s’inscrit
dans un contexte hautement polé-
mique. Plus de 75 membres du
Congrès américain ont fait savoir
qu’à leurs yeux la loi de 1994 s’ap-
plique bel et bien aux recherches sur
les cellules embryonnaires totipo-
tentes. Ils sont rejoints sur ce thème
par plusieurs organisations reli-
gieuses et par les porte-parole des
opposants à la pratique de l’inter-
ruption volontaire de grossesse. Le
président Clinton a saisi la Commis-
sion nationale américaine de bioé-
thique.
En France, dans l’attente de la re-
lecture prochaine des lois de bioé-
thique de 1994, des voix de plus en
plus nombreuses s’élèvent dans la
communauté scientifique pour obte-
nir un assouplissement des disposi-
tions législatives actuelles qui inter-
disent, de facto, de faire de
l’embryon humain un objet de re-
cherche, quelle que soit son origine.
Jean-Yves Nau
Une synchronisation par la lumière
L’horloge biologique, synchronisée sur le rythme circadien, est un phé-
nomène commun à tous les êtres vivants. Le rythme circadien est généré
par la perception d’une information liée à la quantité de particules lumi-
neuses (photons) reçues par la rétine, information transmise par une voie
nerveuse, le tractus rétino-hypothalamique, à une structure composée
d’un groupe de neurones situés à la base du cerveau, le noyau suprachias-
matique. Des protéines, dont la synthèse dépend de gènes déjà identifiés
pour partie (Le Monde du 29 septembre 1993 et du 22 mai 1997), constituent
le signal déclenchant la sécrétion d’une hormone-clé, la mélatonine, par
l’épiphyse ou glande pinéale, localisée au plafond du diencéphale chez les
vertébrés. Cette sécrétion est supprimée par l’exposition à la lumière et se
produit donc la nuit. La mélatonine renseigne ainsi en permanence l’orga-
nisme sur la durée du jour et de la nuit. Lors de voyages avec changements
de fuseaux horaires, l’horloge interne va être perturbée et l’organisme su-
bir le phénomène de décalage horaire.
L’horloge biologique est indépendante des mécanismes de la vision
C’est la lumière qui permet au corps des mammifères de se régler sur un cycle de vingt-quatre heures.
Mais ce « réglage » ne fait pas intervenir les cônes et les bâtonnets, cellules rétiniennes impliquées dans la perception visuelle
On savait déjà que 15 % des aveugles par-
viennent à garder une synchronisation de
leur horloge interne, bien qu’ils ne per-
çoivent pas la lumière sur laquelle elle se
cale. Plusieurs études récentes apportent un
début d’explication de ce curieux phéno-
mène. Elles montrent que la « vision pho-
tique », celle qui renseigne sur le moment
de la journée où l’on se trouve – et permet
donc le réglage de cette horloge – passe par
un réseau neuronal totalement différent de
celui qui, de la rétine au cerveau, intervient
dans la « vision perceptive » qui sert à iden-
tifier l’environnement. Il existerait dans
l’œil des mammifères des photorécepteurs
spécifiques pour réguler la réponse circa-
dienne. Si l’on en croit des travaux précé-
demment publiés, ces récepteurs utilise-
raient un photopigment dérivant de la
vitamine A.
NOTRE HORLOGE interne, ré-
glée par la lumière sur un cycle de
24 heures (le « rythme circadien »)
correspondant à l’alternance du
jour et de la nuit, peut-elle se passer
des cônes et des bâtonnets réti-
niens ? Autrement dit, les cellules
sensorielles de la rétine, qui réa-
gissent en présence d’une forte lu-
mière (pour les cônes, impliqués
dans la vision diurne) ou d’une
faible lumière (dans le cas des bâ-
tonnets, mis en jeu dans la vision
nocturne), sont elles responsables
du fait que l’organisme des mammi-
fères soit bien synchronisé ? Les re-
vues Science (dans son édition du
16 avril) et Nature (dans le numéro
du 15 avril) publient toutes deux des
articles qui montrent qu’il n’en est
rien : les fonctions de visualisation
de l’environnement (vision percep-
tive) et de renseignement sur le mo-
ment de la journée où l’on se trouve
(vision photique) font appel à deux
réseaux neuronaux différents. La vi-
sion photique pourrait solliciter une
chromoprotéine (association d’une
protéine et d’un pigment) différente
de celles intervenant dans la vision
perceptive.
Une équipe britannico-espa-
gnole, dirigée par Russell Foster
(Imperial College of Science,
Technology and Medicine,
Londres), et qui signe deux articles
dans le même numéro de Science, a
raisonné pas à pas. Il n’y a aucun
doute sur le fait que l’œil est la
source primitive de l’information
véhiculée par la lumière, qui permet
le réglage de l’horloge interne,
puisque la perte des deux yeux sup-
prime cette dernière possibilité. On
sait également que les projections
rétiniennes par lesquelles transitent
l’information lumineuse vers les
centres visuels et circadiens sont
bien distinctes et que la cécité vi-
suelle due à une perte partielle en
cônes et en bâtonnets n’entraîne
pas nécessairement une atténua-
tion de la réponse circadienne à la
lumière. Jusqu’ici, les conclusions
n’avaient pas été au-delà d’un
double constat : même avec un petit
nombre de cônes et de bâtonnets, le
système circadien des mammifères
peut maintenir une sensibilité nor-
male aux particules lumineuses (les
photons) ; l’œil contient des photo-
récepteurs non identifiés qui inter-
viennent directement ou indirecte-
ment dans l’action de la lumière sur
le système circadien.
SOURIS AVEUGLES
Pour aller plus loin, l’équipe de
Russel Foster a utilisé comme mo-
dèle des souris apparemment
aveugles à la lumière, puisqu’elles
sont totalement dépourvues de bâ-
tonnets, comme de cônes. Ces ani-
maux transgéniques n’ont pas pré-
senté d’atténuation de leur réponse
comportementale circadienne à la
stimulation lumineuse, ce que l’on
appelle le photoentraînement. Cela
signifie, selon l’équipe de Russell
Foster, qu’il existe dans l’œil des
mammifères des photorécepteurs
différents des deux types classiques
régulant la réponse circadienne. Se-
lon des travaux précédemment pu-
bliés, ces récepteurs utiliseraient un
photopigment dérivant de la vita-
mine A.
Dans le second article, l’équipe de
Russell Foster a utilisé le même mo-
dèle de souris dépourvues des deux
classes de photorécepteurs, cônes
et bâtonnets, afin de voir si la stimu-
lation lumineuse de la rétine par
une source monochromatique en-
traînait, comme cela est le cas chez
la souris normale, l’inhibition de la
synthèse de mélatonine par la
glande pinéale (voir ci-contre). C’est
bien ce qui s’est produit : des cel-
lules différentes des cônes et des bâ-
tonnets, censées ne pas être directe-
ment sensibles à la lumière, peuvent
agir comme photorécepteurs, ce qui
suppose l’existence d’un photopig-
ment également différent agissant
dans ces cellules. Parmi les photo-
pigments suggérés tenir ce rôle, fi-
gurent ceux, classiques, de la famille
opsine/vitamine A, et les crypto-
chromes Cry1 et Cry2, même si
ceux-ci ne font pas l’unanimité.
Ces derniers sont des protéines de
la famille des récepteurs à la lumière
bleue, qui jouent chez les plantes le
rôle d’entraînement de l’horloge
biologique. Ils font l’objet de l’étude
menée conjointement par l’équipe
néerlandaise de Jan Hoeijmakers
(Erasmus University, Rotterdam) et
celle, japonaise, d’Akira Yasui (To-
hoku University, Sendai). Ce travail,
publié dans Nature du 15 avril, a été
conduit sur des souris mutantes dé-
pourvues de ces protéines présentes
à l’état normal dans le ganglion réti-
nien et la couche interne de la ré-
tine. Dans des conditions d’exposi-
tion à la lumière normales, les souris
ne possédant pas l’un des deux
cryptochromes présentent une mo-
dification de la périodicité de leur
activité locomotrice, soit dans le
sens de l’accélération, soit dans ce-
lui du retard. Lorsque Cry1 et Cry2
sont tous deux absents, les animaux
perdent instantanément la rythmi-
cité de leur activité de libre cours.
Les auteurs de l’article de Nature en
concluent que ces deux crypto-
chromes sont essentiels au maintien
des rythmes circadiens, mais ne
peuvent en inférer que ces deux
protéines sont bien les candidats re-
cherchés comme photopigments.
Ces études, en particulier celles
de Russell Foster et de ses collabo-
rateurs, permettent de mieux
comprendre celles menées chez
l’homme par l’équipe Czeisler (Har-
vard University, Boston), explique
Howard Cooper, directeur de re-
cherches à l’unité 371 de l’INSERM
(Lyon). Czeisler a montré, il y a quel-
ques années, que si 85 % des
aveugles avaient une cécité percep-
tive et photique, 15 % conservaient
une vision photique leur permet-
tant de synchroniser leur horloge
interne.
Paul Benkimoun
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