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LeMonde Job: WIV1499--0002-0 WAS LIV1499-2 Op.: XX Rev.: 07-04-99 T.: 20:00 S.: 111,06-Cmp.:08,07, Base : LMQPAG 02Fap:100 N
o
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femmes, plus maltraitées par la civilisa-
tion que nous ne le serions par la nature.
(...) Le mariage, institution sur laquelle
s’appuie aujourd’hui la société, nous en
fait sentir à nous seules tout le poids :
pour l’homme la liberté, pour la femme
des devoirs. Nous vous devons toute
notre vie, vous ne nous devez de la vôtre
que de rares instants. (...) Eh bien, le
mariage, tel qu’il se
pratique aujourd’hui,
me semble être une
prostitution légale. »
L’analyse sera reprise
par Marx en 1848, qua-
siment mot pour mot,
dans le Manifeste du
parti communiste...
Arrive alors le coup
de théâtre, le coup de
génie de Balzac : «à
trente ans », Julie ai-
mera, et sera aimée,
par le jeune Charles de
Vandenesse. Amours
coupables, mais heu-
reuses. Si l’on a dit que
Balzac avait « inven-
» la femme de
trente ans, c’est qu’il a,
le premier, dans un
univers celle-ci
n’était plus qu’épouse
et mère, et elle
n’existait pas comme
héroïne littéraire, dé-
montré qu’elle pouvait
encore avoir des dé-
sirs, des amours, et
que la maternité
n’était pas son unique
accomplissement.
Avec Julie d’Aigle-
mont, c’est une révo-
lution littéraire, sociale et politique qui
s’accomplit. Ce que dit Balzac, c’est
ceci : « Vous avez fait la révolution, mais
vos femmes sont esclaves » (Pierre Bar-
béris, dans son excellente préface en
édition « Folio »). Non seulement la
société libérale de la Restauration,
dans laquelle l’argent devient la valeur
dominante, n’a pas libéré les femmes,
mais sa puissance et sa stabilité re-
posent justement sur leur aliénation.
Fabienne Darge
A
vant d’être une « femme
de trente ans », «l
femme de trente ans, Ju-
lie d’Aiglemont fut une
jeune fille. Une jeune fille qui croyait à
l’amour, dans une société où l’amour,
du moins tel que les jeunes filles le
rêvent, n’a pas de place.
Son destin se scelle un jour d’avril
1813, lors de la dernière
grande revue de Napo-
léon aux Tuileries. La
belle Julie n’a d’yeux ni
pour l’empereur ni pour
le déploiement de ses ar-
mées, mais pour son
cousin Victor, fringant
officier d’ordonnance de
Napoléon, monté sur un
cheval noir. Elle l’épou-
sera, contre l’avis de son
père, pour qui le colonel
d’Aiglemont est « un de
ces hommes que le ciel a
créés pour prendre et di-
gérer quatre repas par
jour, dormir, aimer la pre-
mière venue et se battre ».
Démarre alors l’impla-
cable mécanique mise
en place par Balzac : le
parcours plein de péripé-
ties et parfois fort peu
réaliste de Julie, « femme
d’esprit et de sentiment »
mariée à un nul, lui sert
de machine de guerre.
Car Julie n’est pas vrai-
ment un personnage, au
sens romanesque et psy-
chologique du terme :
« ce n’est pas une figure ;
c’est une pensée », dira
Balzac lui-même. L’in-
carnation des idées de l’auteur des
Mémoires de deux jeunes mariées sur la
condition féminine et sur ce que cette
condition révèle de la société bour-
geoise du XIX
e
siècle.
« Vouée », comme la plupart des
femmes de son temps, « à des mal-
heurs domestiques qui, pour être obs-
curs, n’en sont pas moins terribles », la
marquise d’Aiglemont jettera cette
diatribe dans un moment de révolte et
de désespoir : « Nous sommes, nous
II / LE MONDE / VENDREDI 9 AVRIL 1999
le feuilleton
b
de Pierre Lepape
bbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbb
« De la vitalité de l’école historique française »
Jean-François Sirinelli et Daniel Couty, codirecteurs de « La France et les Français »,
expliquent l’origine et la réalisation de leur entreprise
« Avant d’aborder le fond de
l’ouvrage, un mot sur la genèse
du projet.
Daniel Couty : A l’origine, il y a
le succès rencontré par les deux
Dictionnaire des littératures de
langue française (1984) et des
œuvres littéraires (1994), que Jean-
Pierre de Beaumarchais et moi
avions dirigés pour Bordas. Ces
livres partaient d’un constat : le
manque d’ouvrages de référence
en la matière. L’entreprise présente
sur l’Histoire de France veut
combler une même carence. Dès
l’automne 1994, j’ai travaillé avec
Hélène Pouyfaucon et Maria Me-
ria, les deux éditrices « internes »,
à l’élaboration dun projet suscep-
tible de rassembler et synthétiser
les acquis des disciplines histo-
riques des dernières décennies. Les
lignes éditoriales définies et le bud-
get établi (plus de dix millions de
francs), nous devions choisir un
conseiller historique. Le nom de
Jean-François Sirinelli s’est alors
imposé, puisque, outre le plaisir de
la lecture, son ouvrage Génération
intellectuelle : khâgneux et norma-
liens dans l’entre-deux-guerres
(Fayard, 1988) affirmait les ambi-
tions et les ouvertures que nous
nous fixions pour notre propre dic-
tionnaire.
Jean-François Sirinelli : L’idée
d’une telle entreprise m’a immé-
diatement séduit. Je suis persuadé
que la formule du dictionnaire, loin
d’être une sorte de mausolée pour
savoir embaumé, constitue dans le
domaine des sciences humaines et
sociales l’équivalent des labora-
toires de sciences exactes, avec la
constitution d’équipes pour une re-
cherche appliquée. Et les moyens
mis en œuvre ici, qui permirent de
réunir près de deux cents auteurs,
comme la totale liberté intellec-
tuelle qui nous était laissée, étaient
pleinement convaincants.
» J’ajouterai qu’il y avait là un
défi à relever au moment où cer-
tains observateurs rédigeaient des
bulletins de santé très alarmistes
de la discipline. La somme de
talents réunis, ainsi que leur diver-
sité, attestent à l’inverse la vitalité
de l’école historique française au-
jourd’hui.
Comment l’équipe a-t-elle
été constituée ?
D. C. : D’un commun accord
entre nous, au cours de réunions
bihebdomadaires tenues d’avril à
décembre 1995, nous avons décidé
d’ouvrir l’équipe à quelques figures
tutélaires, aux maîtres confirmés,
et aux jeunes chercheurs dont nous
faisions le pari qu’ils seraient les
futurs grands de demain. Il est
agréable de noter que nombre
d’entre eux, contactés dès l’origine
du projet, sont devenus des noms
déjà reconnus dans leur champ de
recherche.
J.-F. S. : Bien sûr le principe de
spécialité a prévalu, mais en veil-
lant constamment à faire aussi de
cet ouvrage un lieu de capillarité
entre plusieurs générations d’his-
toriens. Nous avons aussi eu le
souci que chaque auteur soit par-
faitement maître de son discours,
tout en respectant les impératifs
communs de forme – la lisibilité
sans laquelle il n’y a pas de véri-
table transmission et de fond.
Pour ce qui concerne celui-ci, il fal-
lait être attentif à l’équité dans la
présentation des angles de vue :
nous avons veillé à ne pas faire
œuvre militante. L’historien n’est
que l’artisan de la mémoire savante
d’un groupe humain donné, qui est
en droit d’attendre un contenu ri-
goureux, et non un propos d’hu-
meur ou une posture de prosélyte.
– Il est rare de voir un littéraire
et un historien parallèlement
aux commandes ; cela a-t-il posé
problème ?
D. C. Cette expérience a pour
moi été l’occasion de m’immiscer
dans un univers que je ne connais-
sais que de réputation ou de fré-
quentation livresque. Et j’ai décou-
vert un rapport à la publication
que je qualifierai de « productif »,
comparé à celui de ma propre dis-
cipline. Respect des délais, rapidité
de réaction et de rédaction – sans,
naturellement que ceci se fasse au
détriment du sérieux de la contri-
bution. Cela, évidemment, sans me
faire porter un regard « angélique »
sur nos collègues historiens, me
conduit à espérer que nous, litté-
raires, nous ouvriions davantage
au monde en ne considérant pas
que notre savoir n’a de sens qu’in-
ter nos, replié dans de frileux col-
loques ou des revues de “ spécia-
listes ”.
J.-F. S. : La mise en œuvre dans
ce type d’ouvrage d’un versant
d’histoire culturelle très important
a été complexe tant cette discipline
est épistémologiquement mal
stabilisée. Travailler sur ce champ
avec un collègue venu d’un autre
horizon a été, de ce fait, pour moi
un enrichissement, qui, je l’espère,
aura d’autres prolongements.
Le propos semble étroite-
ment franco-français (on ne re-
lève que deux contibutions d’his-
toriens étrangers, tous deux
israéliens). Pourquoi ce choix ?
J.-F. S. : C’est une façon d’assu-
mer les effets de mémoire, qui sont
parmi les perspectives historiogra-
phiques actuelles les plus fécondes,
et de mesurer les leçons du miroir :
comment les historiens travaillent
sur la communauté nationale à la-
quelle ils appartiennent. D’autant
que l’inconvénient scientifique en-
couru était limité, les auteurs choi-
sis maîtrisant parfaitement l’apport
des écoles étrangères sur leur
champ de spécialité. Ajoutons que,
par-delà les détournements idéolo-
giques dont elle peut être victime,
l’Histoire reste bien, au bout du
compte, partie intégrante du regard
d’une communauté sur elle-même.
Elle en constitue l’un des ciments.
C’était déjà le sens des grandes en-
treprises éditoriales de la fin du
XIX
e
siècle, et nous ne nous senti-
rions pas insultés si l’on comparait
l’esprit de notre somme à celui qui
les anima – je pense, pour un autre
public, au Petit Lavisse.
Reste le choix (provocant ?)
du support papier à l’heure du
CD-ROM...
D. C. : Certains éditeurs se sont
précipités dans le multimédia. La
page qui bouge et fait « coin-coin »
a sans doute de quoi séduire... mais
c’est en général au détriment du
contenu. Et les seuls vrais CD-ROM
qui ne déçoivent pas sont ceux – je
pense au Grand Robert qui, trans-
posant le contenu du livre sur un
support numérisé, ont permis un
enrichissement par l’hypertextuali-
té. Dans l’absolu, je serais ravi que
notre ouvrage existât en version
CD-ROM de manière à permettre,
outre la commodité et le confort de
la consultation, une démultiplica-
tion des potentialités de recherche.
Mais il est évident que le CD-ROM,
au-delà de l’effet de mode-gadget,
est déjà mort. Il faut songer dès à
présent à la complémentarité livre/
on line, la faculté d’actualisation
continue changeant réellement le
recours à l’ouvrage de référence.
J.-F. S. : Je pense que nous vi-
vons probablement, comme les
érudits de la Renaissance, une
période de mutation ; et le choix
de Gutenberg, dont ils inaugu-
raient le cycle, n’est pas pour
nous un combat d’arrière-garde.
En tant qu’universitaires chargés
de la transmission d’un savoir,
nous sommes encore dans le cycle
de l’imprimé, et la formation
culturelle, de nos étudiants
comme de nos concitoyens, se fait
encore par le canal du lire et de
l’écrire. L’enjeu civique que
constitue aussi cet ouvrage, et qui
est naturellement le nôtre, est
bien de contribuer, en bonne lo-
gique républicaine, à réduire plu-
tôt qu’à creuser le fossé socio-
culturel qui est réapparu dans la
France fin de siècle. Et de tisser du
lien social...
D. C. : ... ce qui renvoie bien à
l’étymologie de texte, qui est
trame et tissage. »
Propos recueillis par
Philippe-Jean Catinchi
La femme
aux illusions perdues
Figures
de la Comédie
b
D’AIGLEMONT
JULIE
Née aux alentours
de 1796-1797,
morte en 1844.
« Femme de trente
ans » issue de textes
disparates dont la
publication s’est
étalée sur plusieurs
années, elle n’est
évoquée que dans
un autre roman de
Balzac, Le Lys dans
la vallée : M
me
de
Mortsauf, son
héroïne, est en
quelque sorte le
pendant « soumis »
et romantique de
Julie d’Aiglemont
De l’infini
dans le dictionnaire
Comprendre ce qu’est la France,
à travers les mots, discours, discussions
qui courent depuis le fond de notre
histoire, voici le programme, ou plutôt
la promenade érudite, que proposent
Jean-François Sirinelli et Daniel Couty
HISTOIRE, LA FRANCE ET LES FRANÇAIS
sous la direction de Jean-François Sirinelli
et de Daniel Couty.
Encyclopédies Bordas. Société générale
d’édition et de diffusion,
4 volumes, 2 300 p., 3 150 F (480,21 ¤),
tarifs spéciaux pour les établissements scolaires,
bibliothèques et collectivités (1).
I
l y a toujours de la folie dans la conception d’un
dictionnaire ou d’une encyclopédie. A commen-
cer par la folie du Tout. Tous les mots d’une
langue, tout l’art moderne, tout sur la France et
les Français depuis que la France existe (mais depuis
quand la France existe-t-elle ?). Il faut un singulier op-
timisme pour oser relever un tel défi. D’autant plus
que la partie est perdue d’avance et que tout le monde
le sait. Le Tout n’est pas comme un sommet que les al-
pinistes du savoir, à condition d’être compétents, en-
traînés, courageux et bien encordés les uns aux autres,
peuvent espérer atteindre. L’encyclopédiste est par dé-
finition un pèlerin de l’inachèvement. Lorsqu’il a fini
son travail, il lui reste à le recommencer. A modifier, à
ajouter, à retrancher, à corriger. Tout bouge sans cesse,
les choses, les savoirs, et les mots pour les dire.
L’autre folie est celle du désordre – ou plus exacte-
ment de cette étrange forme de désordre qu’est l’ordre
alphabétique, cette manière de ranger ensemble des
mots qui n’ont aucun rapport entre eux sinon qu’ils ri-
ment par leur première lettre. Les dictionnaires sont
tellement entrés dans notre outillage culturel que nous
ne parvenons même plus à nous étonner de voir se
suivre sur une liste mobilier, Moch (Jules), moisson-
neuse-batteuse, Molay (Jacques de), Mollien (Nicolas-
François), monachisme, Monaco, monarchie absolue,
Monde (le). Les surréalistes pourtant n’ont pas fait
mieux. Mais on sait aussi le profit polémique que cer-
tains peuvent tirer de cette embrouille organisée. C’est
de cette manière que l’Encyclopédie de Diderot et de
d’Alembert a réussi à distiller les lumineux poisons de
la philosophie au nez et à la barbe des censeurs de
Louis XV et de la Sorbonne. L’ordre alphabétique
masque l’ordre du discours, il l’éparpille, il le dissé-
mine comme du chiendent, tout en paraissant le
détruire.
Il y a toujours du discours dans les dictionnaires et
dans les encyclopédies. On pourrait même poser
comme règle que les meilleurs d’entre eux, les plus
riches, les plus productifs en connaissance et en ré-
flexion, sont ceux où le discours, implicite et explicite,
l’emporte sur la simple information. Ce sont des
œuvres et pas seulement des produits de compilation.
La France et les Français est une œuvre. Si l’on ne sa-
vait pas qu’un ouvrage d’une telle ampleur doit ren-
contrer les lois qui gouvernent le marché du savoir, on
dirait que Sirinelli et Couty l’ont pensé, écrit et fait
écrire au seul gré de leur curiosité polymorphe et ten-
taculaire. Curiosité de comprendre, bien au-delà de
l’avaricieuse curiosité de savoir.
Comprendre ce qu’est la France, voilà le pro-
gramme. De A comme abandon d’enfant à Z comme
zouaves. Il y a, courant d’un bout à l’autre du livre, une
interrogation sur l’identité, assez proche dans l’esprit
de celle qui animait Fernand Braudel. La différence est
dans la démarche, c’est-à-dire dans la façon de mar-
cher. Braudel est un routier, le nez au vent, l’œil géo-
graphe, sensible aux courbes du paysage, aux mouve-
ments de la mer et aux gestes des hommes. Sirinelli et
Couty sont des promeneurs : ce qu’ils voient leur im-
porte moins que ce qu’ils entendent, cette grande
rumeur des mots qui court depuis le fond de notre
histoire, discours, discussions, polémiques, encourage-
ments, huées, proclamations, chuchotements – repris,
transportés, transformés, métamorphosés par les
livres et par les images. Leur France se révèle dans une
bataille de mots. D’où, certainement, leur goût pour la
forme du dictionnaire.
Jean-François Sirinelli est historien, spécialiste d’his-
toire politique, essentiellement contemporaine. Daniel
Couty est professeur de littérature, coauteur d’impres-
sionnants dictionnaires des œuvres et des auteurs
français. Deux manières bien différentes d’interroger
les textes d’hier et d’aujourd’hui et d’en tirer le portrait
de la France. Leur encyclopédie tire tout le bénéfice
possible de cet écart, et d’abord le bénéfice du doute.
Les dictionnaires sont souvent arrogants ; ils pré-
tendent énoncer la vérité et la norme. Qu’ils an-
noncent ou non la couleur, ils développent une idéolo-
gie de la science encore toute guindée de positivisme.
L’article de dictionnaire fait loi, il est l’expression de
l’objectivité et de la neutralité scientifiques considé-
rées comme les servantes irréprochables de la vérité.
On sait ce qu’il en est, en réalité.
Rien de tel dans le Sirinelli-Couty. Certes, le ton des
articles – époque oblige – adopte plus volontiers la
douce musique du consensus que les sons de trompe
de la polémique. Certes encore, certaines absences
ressemblent à des prudences, comme celles, entre Ra-
belais et radical (Parti), de race et de racisme, sans les-
quelles le portrait de la France demeure inachevé.
D’autant que manque également l’entrée xénophobie.
Ce n’était pourtant pas la matière qui manquait. En re-
vanche, La France et les Français frappe par sa fa-
rouche volonté de ne pas ériger ses propositions en
dogmes. Dans les trois mille deux cents articles qui
composent les volumes et qui vont d’une soixantaine
de lignes à quatre ou cinq grandes pages pour les plus
volumineux dossiers, aucun qui prétende à l’inamo-
vible autorité. On a fait son travail, savamment, hon-
nêtement, en respectant avec scrupule les règles de
son métier. On a écrit avec la plus grande clarté pos-
sible, dans une langue aisée et accessible. On a lu sur la
question évoquée les ouvrages les plus récents, la
pointe de la recherche. L’article présente l’état de la
question, sans jamais le confondre avec la forme de la
réponse.
L
e Sirinelli-Couty est une œuvre ouverte. Trop
ouverte parfois, le lecteur s’y promène
comme dans un moulin. C’est à lui d’organi-
ser son itinéraire, les auteurs ayant omis, vo-
lontairement peut-être, de placer ces flèches et ces
panneaux qui orientent la visite. Pas de renvoi d’un ar-
ticle à l’autre, aucune indication lorsqu’on lit l’article
Quatre CV qu’un autre article est consacré à Renault,
un à nationalisation, un troisième à congés payés tandis
qu’un grand dossier est ouvert à l’entrée automobile.
Cette absence de rails a pour effet d’abolir les certi-
tudes supposées de la logique et du continu pour im-
poser une poétique de la dispersion.
Pour un peu, on recommanderait de lire le diction-
naire comme un roman, de la première à la dernière
ligne. Ou à la manière d’un étranger qui découvre la
France, avec la diversité de ses sens, au hasard des ren-
contres, dans la perpétuelle remise en cause de ses in-
terprétations. Chaque article est comme une rue évo-
quant une époque, un caractère, une fonction, et
débouchant sur une autre d’une couleur et d’une
odeur différentes : la rue Delors (Jacques), moderne,
européenne et chrétienne sent la France affable et tê-
tue, les destins atypiques, l’imagination dans la règle.
Elle croise la rue de la démarcation (ligne de), la
France coupée en deux, les nouvelles qui s’échangent
malgré l’occupant et les cartes interzones préimpri-
mées. Puis la rue Démia (Charles), l’enseignement cha-
ritable dans les villes sous l’Ancien Régime, l’emprise
de la morale ecclésiastique sur l’école et sur la lecture.
Puis la rue des demi-soldes, aux nostalgies moins pit-
toresques que ne le montre Balzac. Puis encore, la rue
de la démocratie chrétienne au chemin politique plu-
tôt tortueux, de Félicité de Lamennais à François Bay-
rou. Sans doute faut-il arpenter un à un, rues, avenues,
boulevards et places pour commencer à imaginer un
plan de la France. Comme tous les dictionnaires
importants, le Sirinelli-Couty est une machine à rêver.
P
our que le lecteur rêve – ce qui est une bien
agréable manière de savoir, et plutôt effi-
cace –, il faut qu’il ne se sente pas écrasé par
les textes ni cerné de toute part par les ré-
férences. Il lui faut aussi des images. Celles de
La France et les Français ne se contentent pas d’ac-
compagner le texte ni de l’illustrer. Rien à voir avec les
sinistres vignettes muettes des dictionnaires ordinaires
ni avec les débauches iconographiques de certaines
encyclopédies dont on peut soupçonner qu’elles en-
couragent à l’abandon de la lecture. Ici, le document
imagé développe son propre discours et dialogue avec
le texte, l’éclaire, le nuance, le complète, lui apporte
une subtile contradiction. Même les portraits qui ac-
compagnent certaines biographies savent sortir du
cadre pour jouer de l’écart : caricatures, dessins de
presse ou d’almanach, visions d’artistes, postures et
environnements significatifs.
Le langage n’est pas fait que de mots, mais de ce qui
est entre les mots et qui les relie, comme le montre la
littérature. Les mots ne donnent que le sens, jamais la
signification. Sirinelli et Couty ont traité la France et
les Français comme une langue. Ils en ont fourni les
mots, en abondance, proposant un lexique à la fois
vaste et précis ; des définitions solides, des exemples
tirés des meilleurs auteurs. Mais il ne s’en sont pas
tenus là, au vocabulaire. Ils ont permis que chaque lec-
teur puisse passer des mots à la phrase, qu’il invente sa
prosodie, son rythme, sa rhétorique, qu’il découvre ses
valeurs. Bref, ils ont introduit un peu d’infini dans le fi-
ni, toujours inachevé, du dictionnaire.
(1) Vendu par courtage, l’ouvrage est diffusé par la SGED,
30, rue Cambronne, 75737 Paris Cedex 15. Tél : 01-44-38-54-
38. Télécopie : 01-44-38-54-89.
J.L.-A BISSON 1842/PARIS MAISON DE BALZAC
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