Electrolux BCC-9E Manual de usuario Pagina 13

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LeMonde Job: WMQ1610--0016-0 WAS LMQ1610-16 Op.: XX Rev.: 15-10-99 T.: 09:05 S.: 111,06-Cmp.:15,14, Base : LMQPAG 28Fap: 100 N
o
: 1821 Lcp: 700 CMYK
C’est le suicide cellulaire qui empêche
notre système de défense immunitaire
d’attaquer notre propre corps
et évite qu’une cellule qui a subi
des altérations génétiques ne s’engage
sur le chemin qui mène au cancer
Au cœur du vivant, l’autodestruction
par Jean-Claude Ameisen
« Quant à la mort, elle n’im-
plique aucune positivité d’au-
cune sorte : le vivant est aux
prises avec la stérile et mortelle
antithèse, et se défend désespé-
rément contre le non-être ; la
mort est le pur, l’absolu empê-
chement de se réaliser. »
Vladimir Jankélévitch
AU COURRIER
DU « MONDE »
L
ES DANGERS DU DIESEL
Ayant lu avec la plus grande at-
tention ce qui a été publié, parti-
culièrement par Le Monde, sur la
catastrophe ferroviaire de Pad-
dington, j’ai été très étonné de ne
rien trouver sur ce qui a été la
cause essentielle de son ampleur
et du nombre élevé de ses vic-
times, dont la plupart ont péri non
du choc, mais de l’incendie qui lui
a succédé.
Le réseau « Great Western »,
dont la ligne Paddington-Bristol
est l’une des plus anciennes du
Royaume-Uni – construite par le
célèbre ingénieur Brunet vers
1840 –, est entièrement exploité
en traction diesel, tant pour les
grandes lignes que pour la ban-
lieue. Paddington est la seule très
grande gare européenne sans ca-
ténaires, ou presque ; il n’y a
guère plus de deux ans que la liai-
son « Heatrow Express », qui des-
sert l’aéroport, et elle seule, est
électrifiée en monophasé
25 000 volts (comme l’Eurostar
sur son parcours français).
L’incendie dévastateur a été
causé par le carburant diesel des
engins moteurs (il en fut de même
au tunnel du Mont-Blanc) et c’est
à lui qu’est dû le décès de la majo-
rité des victimes, réduites en
cendres par un brasier, où, là aus-
si, la température atteignit les
1 000 degrés.
Le non-respect d’une signalisa-
tion vétuste est la cause première,
mais les terrifiants effets dérivés
relèvent de la présence d’un sys-
tème de traction thermique aban-
donné par la quasi-totalité des ex-
ploitants – même aux Etats-Unis –
de réseaux de banlieue.
François Pomés
Château-Thierry (Aisne)
L
A
C
ORSE ET SON AVENIR
Malgré trente années d’efforts
de l’Etat de droit, les nationalistes
corses continuent à donner, en
armes, des conférences de presse
clandestines aux environs d’Ajac-
cio, à plastiquer les bâtiments pu-
blics et à faire parler la poudre, en
toute impunité. Imagine-t-on pa-
reille situation en Berry par
exemple ? Non, sans doute. Il
semble donc que la population de
la Corse, dans sa majorité, couvre
et protège ses soldats de l’ombre.
Pourquoi alors s’obstiner ? Il suffi-
rait d’organiser un référendum
sur l’indépendance de la Corse et,
s’il donne un résultat favorable,
de retirer de l’île toutes les struc-
tures administratives et oppres-
sives de la France. La Corse ne
manque pas d’hommes tout prêts
à assumer des responsabilités
gouvernementales. Ainsi, dès que
l’un des groupes sera parvenu à
s’imposer par l’élimination des
concurrents, nul doute qu’il éta-
blira enfin la démocratie insu-
laire... Et la Corse libérée prati-
quera sans entraves sa culture
ancestrale, dynamisera une
économie et fera entendre une
voix respectée dans le concert des
nations...
Tout le monde n’y gagnerait-il
pas ?
André Maille
Châteauroux (Indre)
J
EAN
P
AUL
II
On peut certes comprendre les
positions progressistes de votre
quotidien, qui l’amènent parfois à
des excès critiques tels que ceux
formulés dans l’éditorial consacré
à Jean Paul II (Le Monde daté
3-4 octobre). Mais ne faut-il pas
comprendre le point de vue du
pape ? Est-il là pour plaire, sauf à
se déconsidérer ? Peut-il tenir, sur
l’avortement, un autre discours
que le sien, même si ce discours
« entêté » ne change rien aux réa-
lités humaines et sociales ? Voit-
on un pontife bénir l’avortement,
ou avaliser l’euthanasie, plus rare
au demeurant ?
C’est à chacun de se déterminer
selon sa conscience, seule règle en
la matière.
Louis Canier
Yzeure (Allier)
Eloge du cimetière
par Jean-Hugues Déchaux
S
OMMES-NOUS en
train de vivre l’agonie
du cimetière ? Jus-
qu’alors, le traitement
des morts conférait un rôle central
au cimetière et aux cérémonies qui
s’y tiennent. Ces dernières années
annoncent une véritable révolu-
tion. La perspective d’une société
sans cimetières n’est plus une vue
de l’esprit. Il y a peu, une entre-
prise de pompes funèbres de la
principauté de Monaco signalait
l’ouverture d’un cimetière virtuel
sur Internet permettant à chacun
de se recueillir dans l’intimité de
son domicile. Comment en
sommes-nous arrivés là ?
Jadis, la mort faisait l’objet de
rites collectifs très institués ; il
était difficile de s’y soustraire, le
rôle de chacun était étroitement
défini par l’étiquette. Pensons aux
obsèques d’hier, empesées et pro-
tocolaires. « Faire plutôt que dire »,
tel était le principe qui régissait le
rituel : exprimer la peine, la
commisération, l’hommage, mais
dans les formes établies. En obser-
vant la gestuelle prescrite, en en-
dossant les habits de deuil, il fallait
faire bonne figure. La souffrance
pouvait être dite, mais pas n’im-
porte comment : les oraisons fu-
nèbres étaient là pour ça, le verbe
lui-même était ritualisé.
A la base de ce dispositif était le
cimetière, sanctuaire des morts.
Les morts avaient leur place, dans
cet espace à part, séparé de la vie
profane. Tout y rappelait à la pré-
sence du cadavre : les allégories
funéraires et, bien sûr, la tombe.
Dans la relation aux morts, la sé-
pulture constituait le média par
excellence : la mise en bière, l’in-
humation, la pierre tombale, tout
s’organisait autour du cadavre.
L’hommage supposait forcément
le pèlerinage au cimetière. Sans
doute cela aidait-il à donner un
statut au défunt, à faire que la
mort ne soit pas qu’une pure et
simple disparition.
Que constate-t-on aujourd’hui ?
Le rite ne passe plus. Les cérémo-
nies funéraires ne gardent un sens
qu’à condition d’être personnali-
sées. Les prêtres et agents des
pompes funèbres sont condamnés
à faire du « sur-mesure », à évo-
quer le défunt dans sa singularité,
pour répondre aux attentes des
proches. Le principe qui désormais
gouverne les attitudes est inversé :
« Dire plutôt que faire. »
L’anonymat du rite est un car-
can dont il faut se libérer : au pro-
tocole est préféré le verbe, suppo-
sé plus transparent et authentique.
Le deuil n’est plus un rite social
avec ses inévitables prescriptions,
mais une affaire psychologique
que chacun doit pouvoir « gérer »
à sa façon. A chacun sa mort, son
deuil et son hommage, l’important
étant de ne pas tricher, d’exprimer
sa peine en toute sincérité. Cette
« psychologisation » met au centre
du dispositif funéraire, non plus le
cimetière, mais ego.
Il n’est plus nécessaire que les
morts aient un lieu consacré, une
place à part, ni même que leurs
traces soient reconnues par la so-
ciété. Puisque l’essentiel relève
d’un « travail de deuil » qui inté-
resse la psyché, l’inscription des
morts dans l’espace social devient
chose accessoire. On assiste ainsi,
plus qu’à une disparition des
traces, à leur miniaturisation
(cf. l’urne funéraire), à leur indivi-
dualisation (rien n’empêche de
procéder à un partage des
cendres) et à leur nomadisation
(partir l’urne sous le bras).
Moins figuratives, les traces se
détachent de la référence au ca-
davre. Le culte des morts peut
alors se muer, selon la belle ex-
pression de Jean-Didier Urbain, en
« un culte métonymique » au cœur
des foyers. Honorer ses morts en
cliquant sur la bonne icône de son
écran d’ordinateur, voilà qui para-
chève le processus : la mort deve-
nue chose domestique.
La mutation, profonde, est
culturelle et touche de nombreux
aspects de la vie privée, notam-
ment familiale. On est avec les
morts comme on est avec ses
proches : l’autonomie, l’authenti-
cité, la liberté de choisir sont les
maîtres mots et consacrent le
triomphe de la subjectivité. Nul
désormais n’a le droit de m’impo-
ser son mort. Les Eglises sont obli-
gées de composer, comme cela a
toujours été le cas au cours de
l’histoire.
Faut-il y voir un rapport à la
mort plus libre, plus vrai, bref plus
« démocratique », pour suivre An-
thony Giddens, qui parle d’une vé-
ritable démocratisation de la vie
privée ? A l’évidence, non ! Ce se-
rait pure illusion que de croire que
l’individu peut faire face seul à la
mort. Tout le monde n’est pas So-
crate, indifférent, sur le point de
mourir, au traitement funéraire
que lui réserve la société. La mort
doit rester une affaire collective
pour deux raisons : d’une part,
parce que, sauf pour le sage qui
parvient à embrasser la « vie philo-
sophique », seul le groupe social
est en mesure de contenir l’effroi ;
d’autre part, et plus fondamenta-
lement, parce qu’il n’y a pas de
« monde commun » sans profon-
deur temporelle.
Comment, avec l’actuelle frag-
mentation des expériences, des
pratiques et des croyances rela-
tives à la mort, parvenir à affirmer
une continuité, qui soit autre
chose qu’un bricolage individuel,
une eschatologie « en trompe-
l’œil » ? La perpétuation du
groupe, l’appartenance qu’elle dé-
livre, est sans doute la plus ar-
chaïque conjuration qui soit ; c’est
aussi la meilleure : elle procure,
face à la mort, un sentiment de
permanence et de normalité. Cette
transcendance ordinaire est assi-
gnatrice, ce qui relativise la toute-
puissance du sujet, mais, par là
même, le met en demeure d’exer-
cer une formidable responsabilité,
sans laquelle il ne peut tout à fait
s’accomplir.
Jadis, la mort
faisait l’objet
de rites collectifs
très institués.
Que constate-t-on
aujourd’hui ?
Le rite ne passe plus.
Les cérémonies
funéraires
ne gardent un sens
qu’à condition
d’être personnalisées
En effet, l’autoréférentialité
dont est porteur le principe de
l’autonomie engendre un monde
sans altérité, sans extériorité, où
tout est rapporté à la subjectivité
triomphante d’ego. Un monde
sans épaisseur temporelle, sans
avant ni après. Or le monde est
une réalité collective temporelle-
ment vulnérable ; nous n’avons
tout bonnement pas le droit de le
laisser en déshérence. Le passé
n’est pas un héritage comme les
autres ; il se transmet à nous sous
la forme d’une responsabilité : res-
ponsabilité inéluctable qui nous lie
aux morts comme à l’avenir du
monde.
Ne nous dérobons pas à cette
responsabilité collective : il ne
viendrait à l’esprit de personne de
ne pas l’assumer pour ses enfants ;
les éduquer, c’est leur léguer un
monde commun dont nous
sommes, par le truchement des
morts, les mandataires. A nous
d’être les gardiens des morts, non
par passéisme ou nostalgie, mais
pour assurer cette élémentaire
continuité sans laquelle aucune
communauté humaine n’existe
réellement.
Qu’est-ce qui, mieux que le ci-
metière, témoigne de cette histori-
cité ? Certes, la minéralité de la
stèle funéraire peut entretenir l’il-
lusion d’une éternelle conserva-
tion des défunts. Une tombe en soi
n’est rien, sinon – ce qui est déjà
essentiel – la « place du mort », le
procédé par lequel les morts sont
inscrits dans l’espace social. C’est
bien aux vivants qu’il revient d’en
faire une présence.
C’est par une pensée vivante
que les morts comme la culture
doivent être honorés. Réinventons
le cimetière pour en faire le jardin
de Mnèmosunè, cette déesse de la
mémoire, mère des neuf muses,
qui, chez les Grecs, présidait à la
poésie lyrique.
Jean-Hugues Déchaux
est maître de conférences de socio-
logie à l’université René-Descartes
(Paris).
16 / LE MONDE / SAMEDI 16 OCTOBRE 1999 HORIZONS-DÉBATS
D
URANT toute notre
existence, nous por-
tons en nous le sen-
timent de notre
unicité, de notre irréductible in-
dividualité. Pourtant, nous
sommes chacun une nébuleuse
vivante, un peuple hétérogène
de dizaines de milliers de mil-
liards de cellules dont les inter-
actions engendrent notre corps
et notre esprit. Pour cette rai-
son, toute interrogation sur
notre vie et notre mort nous
renvoie à une interrogation sur
la vie et la mort des cellules qui
nous composent.
Pendant longtemps, on a pen-
sé que leur disparition – comme
notre propre disparition – ne
pouvait résulter que d’accidents
et de destructions, d’une ultime
incapacité à résister à l’usure et
aux agressions de l’environne-
ment. Mais la réalité s’est révé-
lée d’une autre nature. Au-
jourd’hui, nous savons que
toutes nos cellules possèdent le
pouvoir, à tout moment, de
s’autodétruire en quelques
heures. Et leur survie dépend,
jour après jour, de leur capacité
à percevoir dans l’environne-
ment de notre corps les signaux
émis par d’autres cellules, qui,
seuls, leur permettent de répri-
mer le déclenchement de leur
suicide.
C’est à partir d’informations
contenues dans nos gènes que
nos cellules fabriquent en per-
manence les exécuteurs ca-
pables de précipiter leur fin, et
les protecteurs capables de les
neutraliser. D’une manière
contre-intuitive, un événement
positif – la vie – procède de la
négation d’un événement néga-
tif – l’autodestruction.
C’est cette fragilité même, ce
sursis permanent et l’interdé-
pendance qu’ils font naître qui
sont une des sources essen-
tielles de notre plasticité et de
notre pérennité, permettant à
nos corps de se reconstruire
sans cesse et de s’adapter à un
environnement perpétuelle-
ment changeant. A l’image an-
cienne de la mort comme une
faucheuse brutale, surgissant du
dehors pour détruire, s’est su-
rimposée une image radicale-
ment nouvelle, celle d’un
sculpteur, au cœur du vivant, à
l’œuvre dans l’émergence de sa
forme et de sa complexité.
Dès les premiers jours qui
suivent notre conception, dans
les dialogues qui s’établissent
entre les différentes familles de
cellules en train de naître, le lan-
gage des signaux détermine la vie
ou la mort. Le suicide cellulaire
joue un rôle essentiel dans la
sculpture des métamorphoses
successives de notre corps en de-
venir et dans l’auto-organisation
de notre cerveau et notre système
immunitaire, les supports de
notre mémoire et de notre
identité.
Après notre naissance, notre
corps d’enfant puis d’adulte de-
meure pareil à un fleuve, toujours
recomposé. C’est le suicide cellu-
laire qui empêche notre système
de défense immunitaire d’atta-
quer notre propre corps, et évite
qu’une cellule qui a subi des alté-
rations génétiques ne s’engage
sur le chemin qui mène au cancer.
Il n’est plus un domaine de la bio-
logie et de la médecine qui ne soit
aujourd’hui réinterprété à l’aide
de cette nouvelle grille de lecture,
et un bouleversement en matière
de concepts thérapeutiques est en
train de naître.
Pourtant, dans le même temps,
le déploiement d’un langage
scientifique riche de résonances
anthropomorphiques – « suicide
cellulaire », « mort programmée »,
« décision de vivre ou de mourir »,
« altruisme cellulaire » – a suscité
une impression de révélation ma-
gique qui traduit à la fois la fasci-
nation exercée par ces phéno-
mènes et la difficulté à en
appréhender la nature.
Cette potentialité paradoxale de
« mourir avant l’heure », comment
se fait-il que nos cellules la pos-
sèdent ? Nous avons tous une très
longue histoire qui débute bien
avant notre naissance et se dé-
ploie au long de l’immense lignée
de nos ancêtres, dont la généalo-
gie se perd dans la nuit des temps.
Selon les mots d’Edgar Morin, «le
problème le plus passionnant, plus
mystérieux encore que celui de l’ori-
gine de la vie, estbien celui de l’ori-
gine de la mort ». Quand, au cours
de l’évolution du vivant, est appa-
rue pour la première fois la poten-
tialité de s’autodétruire, et dans
quels corps, dans quelles cellules...
Aujourd’hui, nous savons que le
suicide cellulaire est à l’œuvre
dans la construction de tous les
corps des animaux et des plantes
qui nous entourent, dont les pre-
miers ancêtres sont probable-
ment apparus il y a un milliard
d’années.
Mais le suicide cellulaire sculpte
aussi l’interdépendance, la
complexité et la plasticité des in-
nombrables formes de sociétés in-
visibles à l’œil nu que bâtissent les
êtres vivants les plus simples et les
plus ancestraux, les bactéries, qui
règnent sur la Terre depuis proba-
blement 4 milliards d’années.
Le pouvoir de s’autodétruire
semble être profondément ancré
au cœur du vivant. Il se pourrait
qu’il ait été, dès l’origine, une
conséquence inéluctable du pou-
voir d’auto-organisation qui
caractérise la vie. Vivre, se
construire et se reproduire en per-
manence, c’est utiliser des outils
qui risquent de provoquer l’auto-
destruction, tout en étant aussi
capable de les réprimer.
Mais il y a sans doute eu, dans
l’évolution de la mort, une autre
dimension. Toute cellule est un
mélange d’êtres vivants hétéro-
gènes, une cohabitation contin-
gente de différences, dont la pé-
rennisation n’a sans doute eu le
plus souvent pour solution alter-
native que la mort. Et c’est au
rythme de ces combats, donnant
soudain naissance à des sym-
bioses – à des épisodes de fusion
des altérités en de nouvelles iden-
tités – que se sont probablement
diversifiés et propagés les enche-
vêtrements successifs des exé-
cuteurs et des protecteurs qui au-
jourd’hui contrôlent le suicide
cellulaire.
Ces relations anciennes qu’en-
tretient la vie avec la mort « avant
l’heure », se pourrait-il qu’elles
soient aussi à l’œuvre dans la
sculpture de notre longévité ? Le
vieillissement de nos corps ré-
sulte-t-il uniquement d’une usure
inévitable ? Ou notre fin pourrait-
elle procéder d’une forme d’auto-
destruction ? Les frontières long-
temps considérées comme infran-
chissables de la longévité
maximale des individus ont
commencé à révéler, dans cer-
taines espèces animales, leur ex-
traordinaire degré de plasticité.
Ces frontières semblent avoir été
sculptées de manière contingente
par les confrontations successives,
de génération en génération,
entre les individus et leur environ-
nement. Elles apparaissent
comme des points d’équilibre, des
formes de compromis entre des
conflits que se livrent, à l’intérieur
même des corps, des phénomènes
« protecteurs » qui favorisent la
pérennité des individus, et des
phénomènes « exécuteurs » qui
abrègent leur durée de vie, mais
favorisent leur capacité à engen-
drer une descendance.
Si toute incarnation du vivant
affronte l’usure et les agressions
de l’environnement dans un
combat perdu d’avance, il se pour-
rait que la pérennité de la vie ait
procédé, paradoxalement, d’une
capacité de chaque corps, de
chaque cellule, à utiliser une par-
tie des ressources qu’ils possèdent
pour construire, au prix de sa dis-
parition prématurée, une incarna-
tion nouvelle.
Bichat disait autrefois : « La vie
est l’ensemble des fonctions qui ré-
sistent à la mort. » Aujourd’hui, on
aurait plutôt tendance à dire que
« la vie est l’ensemble des fonctions
capables d’utiliser la mort »,
comme l’a proposé Henri Atlan.
Le vieillissement progressif de
chaque cellule, à mesure qu’elle
enfante des cellules un temps plus
jeunes et plus fécondes ; l’auto-
destruction brutale d’une partie
des cellules au profit de la survie
du reste de la collectivité ; le vieil-
lissement d’un corps capable d’en-
gendrer des corps nouveaux :
toutes ces fins de monde, donnant
naissance à des mondes nou-
veaux, ressemblent à autant de
variations sur un même thème.
Comment pouvons-nous essayer
de comprendre le comportement
de nos cellules et de nos corps – et
tenter de les modifier – si nous
n’appréhendons pas que ce qui
nous fait vieillir et disparaître est
peut-être ce qui, en d’autres avant
nous, nous a permis de naître ?
« Penser le sens de la mort non pas
pour la rendre inoffensive, ni la justi-
fier, ni promettre la vie éternelle,
mais essayer de montrer le sens
qu’elle confère à l’aventure hu-
maine », disait Emmanuel Lévinas.
Pour le biologiste, il s’agit, à un
autre niveau, d’essayer d’appréhen-
der jusqu’à quel point une forme
aveugle, contingente et de plus en
plus complexe de jeu avec la mort
avec sa propre fin – a pu être un
déterminant essentiel du long
voyage qu’a accompli à ce jour la
vie à travers le temps, et du mer-
veilleux foisonnement de nouveau-
té auquel elle a donné naissance.
Jean-Claude Ameisen est
professeur d’immunologie à l’uni-
versité Paris-VII et au centre hospi-
talier universitaire Bichat.
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