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Cheikh Lô, nouvelle étoile de la galaxie Youssou N’Dour
Le chanteur sénégalais, devenu l’un des magnats de la communication dans son pays, s’apprête à sortir son nouvel album
et produit celui d’un artiste d’exception, invité à Paris le 17 octobre en clôture du cycle mandingue de la Cité de la musique
DAKAR
de notre envoyé spécial
Surgit un gâteau blanc énorme,
surmonté de feux d’artifice qui illu-
minent les visages des danseurs.
Tous se massent au pied de la
scène du Thiossane, la boîte de
nuit la plus courue de Dakar – l’un
des joyaux de l’empire créé par le
chanteur Youssou N’Dour. Ce gâ-
teau lui est justement destiné : le
vendredi 1
er
octobre, il a choisi de
fêter ses quarante ans entourés de
ses amis au milieu d’une nuit qui
aura vu se succéder sur la scène la
plupart de ses musiciens favoris.
Voilà belle lurette que la climatisa-
tion ne suffit plus à refroidir les ar-
deurs d’un bon millier de noctam-
bules décidés à témoigner de leur
attachement au chanteur, jadis
« petit prince de Dakar », figure de
proue du m’balax, devenu une star
bien au-delà des frontières de
l’Afrique de l’Ouest. Quand les car-
rières – et la réputation – de Salif
Keita, le Malien, Papa Wemba, le
Zaïrois, ou Mory Kanté, le Gui-
néen, peinent à rebondir, celle de
Youssou N’Dour se porte comme
un charme, même si, après son duo
avec Neneh Cherry, on se deman-
dait si son nouvel album, tant de
fois annoncé, finirait par être pu-
blié...
UN QUOTIDIEN ET UNE RADIO
Dans les salons de son studio du
quartier des Mamelles, au-delà de
l’aéroport, Youssou N’Dour se veut
rassurant : « L’album sortira au plus
tard en janvier ; je le présenterai à la
presse dans le courant du mois de
novembre pendant que je tournerai
le clip qui accompagnera la sortie
du single. Une tournée mondiale est
prévue à partir de février. Mais je
suis invité en France, à Troyes, le
3 novembre, et je chanterai plusieurs
de mes nouvelles chansons. » La
sortie retardée de l’album a au
moins deux raisons. Youssou
N’Dour explique la première : «Le
succès que j’ai rencontré un peu
partout me donnait l’impression de
porter quelque chose de lourd dont il
fallait me décharger. » Un séjour à
Dakar permet de comprendre la
seconde : en quelques années, le
chanteur a construit dans la capi-
tale sénégalaise un petit empire,
apparemment prospère. Outre sa
maison de disque, Jololi, bâtie
pierre par pierre depuis les années
80 – elle compte aujourd’hui près
de cent cinquante salariés –, et son
splendide studio d’enregistrement,
Xippi, Youssou N’Dour a créé, le
12 octobre 1998, avec deux asso-
ciés, un groupe de communication,
COM7 SA. Il réunit un quotidien
d’informations générales, L’Info 7,
placé au centre de l’échiquier poli-
tique sénégalais, une radio, 7FM,
et une imprimerie. On lui prête
même l’intention de lancer bientôt,
ce qu’il dément pour l’instant, la
première chaîne de télévision pri-
vée du Sénégal.
« J’essaie de bâtir au Sénégal un
vrai show-business, explique Yous-
sou N’Dour. On en a besoin pour
que les artistes puissent vivre de leur
art et être plus forts artistiquement.
Nous faisons donc très attention à la
formation des gens avec qui nous
travaillons et nous les laissons faire.
Je peux rester deux mois sans aller
dans mes bureaux et je passe le plus
clair de mon temps au studio. » Là,
dans un univers au design impec-
cablement réfrigéré, derrière une
console aux allures de commandes
de paquebot, Youssou N’Dour fait
la preuve de ses assertions en se
consacrant essentiellement aux
autres. La nouvelle étoile de son
catalogue a pour nom Cheikh Ndi-
guël Lô, dont il vient de produire
le deuxième album, Bamba Gueej
(lire ci-dessous).
« J’ai rencontré Cheikh Lô après
son premier disque, se souvient
Youssou N’Dour. J’adorais sa voix.
J’étais en train d’enregistrer mon
disque quand mon ingénieur du
son m’a fait écouter une de ses
chansons, accompagnée seulement
d’une guitare et d’un djembé. J’ai
voulu le voir tout de suite. Je savais
déjà que j’étais prêt à m’investir
dans son travail. On a beaucoup
joué, discuté, et nous avons décidé
de privilégier les instruments
acoustiques, d’être soft sur les ar-
rangements pour restituer le
charme singulier de ses chansons. »
La voix, les textes, les composi-
tions de Cheikh Lô sont effective-
ment empreintes d’un charme ori-
ginal qui reflète la personnalité de
ce quadragénaire qui a beaucoup
roulé sa bosse avant de connaître,
au Sénégal aujourd’hui, à Paris
demain à la Cité de la musique, et
certainement en Europe bientôt,
la reconnaissance des mélo-
manes. Pour le rencontrer, il ne
faut pas s’éloigner des Mamelles,
la seule élévation d’une capitale
aussi plate que le reste du Séné-
gal. Il habite une petite maison
blanche, en pleins travaux, que
l’on rejoint après avoir passé une
porte bleue aux réminiscences vil-
lageoises. Dans le futur salon en
construction, une batterie que
Cheikh Lô partage avec son fils
qui sait à peine marcher. Jamais
loin de son maître, une guitare,
l’instrument qu’il joue en scène,
assis, à la manière d’un Ben
Harper.
En milieu de journée, Cheikh Lô
se réveille. « Je n’ai dormi que quel-
ques minutes au petit jour, confie-t-
il, à cause du disque, de la tournée,
de la préparation des concerts... »
Sa tignasse rasta tressée sur le cou
cerne un visage fin, maigre même,
et un regard extrêmement pré-
gnant. Il est né à Bobo-Dioulasso,
centre agricole du Burkina Faso,
de parents sénégalais – son père
étant orfèvre, issu d’une longue li-
gnée de marabouts. Le chanteur
parle d’une voix douce, chaleu-
reuse, tout entière habitée par son
marabout, disciple du prophète
Ahmadou Bamba, fondateur du
mouridisme et de la secte isla-
mique des Baye Fall. « Je suis im-
prégné par le mouridisme, ça se re-
flète dans ma musique, dit Cheikh
Lô. Je me documente, je lis les textes
laissés par Bamba, je respecte ses
prescriptions : il incarne la paix et la
tolérance, clé de la sagesse. »
« IL FALLAIT MÛRIR »
Cette croyance a permis à
Cheikh Lô de traverser les années
dans le calme, même quand il vé-
gétait dans les studios parisiens au
milieu des années 80, Paris où il
avait espéré, sans succès, devenir
lui-même. Il a beaucoup joué et
chanté derrière les autres, pour les
autres, appartenu à une multitude
de formations, comme le Volta
Jazz, interprété Miles Davis dans
les salons d’un hôtel dakarois,
soutenu les chœurs de Papa Wem-
ba... « On me demande souvent
pourquoi j’ai attendu si longtemps
pour commencer une carrière solo.
Il fallait mûrir, m’ouvrir l’esprit et
l’entendement. »
En 1989, Cheikh Lô publie une
première cassette, puis un disque
sept ans plus tard, jusqu’à ce nou-
vel album distribué en Europe
après sa publication victorieuse au
Sénégal. Il y est question d’arbre,
d’eau, d’océans, de rues, de la jeu-
nesse du Sénégal aussi et des soli-
darités africaines – « Pardonnez-
nous, enfants d’Afrique./ Pardon-
nez-nous, enfants du monde./ La
guerre détruit quand la mort devrait
être naturelle./ Pardonnez-nous et
faites que les peuples de la terre
s’unissent » (Africadën). Youssou
N’Dour croit en Cheikh Lô et ad-
mire « son art, sa spiritualité, ses
croyances de fer ». Des croyances
qu’il voudrait faire partager aux
profanes, loin de Dakar, à La Vil-
lette et ailleurs.
Olivier Schmitt
Le m’balax bien tempéré d’un sage mystique
MUSIQUE EMBLÉMATIQUE du Sénégal, le
m’balax est d’abord un rythme wolof. Un ryth-
me complètement fou. Hérissé d’aspérités, de
reliefs acérés, impossible à danser quand on
n’a pas grandi avec. Cheikh Lô est sénégalais,
donc il connaît. Il n’ignore rien des tambours
qui le font tourner, affolent les hanches des
femmes et incitent les hommes à la frime. Le
sabar, frappé avec une baguette souple, autre-
fois moyen de communication entre les vil-
lages, est aujourd’hui l’animateur indispen-
sable des fêtes et stimule les adversaires lors
des combats de lutte sénégalaise. Le tama, pe-
tit tambour d’aisselle extrêmement bavard, est
au centre de la musique sénégalaise.
Ses modulations « ne sont pas seulement des
rythmes. Elles expriment aussi parfois des
phrases, des proverbes, que les initiés peuvent dé-
coder, explique Baaba Maal, l’un des artistes
phares de la musique sénégalaise. Le tama re-
flète le dynamisme, la décontraction des Sénéga-
lais ». Chanteur puissant dont le timbre nasal
est typique de la tradition griotique, Cheikh Lô
offre une place de choix au tama et au sabar
dans sa musique, un m’balax singulier dont on
a pu apprécier l’originalité dès 1996 sur son
premier album, Né la thiass. Enregistré entre
Dakar – principalement –, dans le studio de
Youssou N’Dour, Londres et La Havane, Bam-
bay Gueej (Bamba, océan de paix) est dédié à
Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur du mou-
vement soufi mouride, rassembleur d’hommes
dont le pouvoir colonial se méfiait terrible-
ment. A travers deux titres (Bambay Gueej et
Zikr), Cheikh Lô chante sa gloire et celle de
Cheikh Ibra Fall, disciple de Bamba et guide
spirituel des Baye Fall, branche des Mourides
dans laquelle lui-même se reconnaît.
Le reste de l’album suit les contours de
préoccupations plus profanes. Il évoque les
sans-logis qui hantent les rues (M’Beddemi, re-
lecture d’El Carretero, de Guillermo Portabales,
le titre « cubain » du disque, effet de mode
oblige, encore qu’au Sénégal la musique
cubaine ait toujours été très prisée), il chante la
jeunesse sénégalaise, espoir d’une Afrique unie
débarrassée des guerres, et Bobo-Dioulasso,
son village natal au Burkina Faso. Porté par la
caresse suave ou funky d’un saxophone (Bam-
ba Gueej et son surprenant clin d’œil à Fela,
avec Pee Wee Ellis, ancien arrangeur et saxo-
phoniste de James Brown), galvanisé par les
phrases virevoltantes d’une flûte (Richard
Eguës, ex-Orquesta Aragon), emporté par la
voix de la diva malienne Oumou Sangaré (Bo-
bo-Dioulasso), Cheikh Lô sculpte un m’balax
atypique, ouvert à toutes les influences, donc
assimilable par le commun des oreilles.
Patrick Labesse
夝 Bambay Gueej, 1 CD World Circuit WCD
0057. Distribué par Night & Day.
CULTURE
LE MONDE / SAMEDI 16 OCTOBRE 1999
28
Rendez-vous
b « Chants de femmes ». Le
15 octobre à 20 heures. Avec
Dimi Mint Abba et son ensemble
(Mauritanie) ; Oumou Sangaré et
son ensemble (Mali).
b « Épopée mandingue de
Sunjata Keita ». Le 16 octobre à
16 h 30 et le 17 à 15 heures. Avec
M’Bady Kouyaté, ensemble Kora
mandingue, ensemble
instrumental de Guinée.
b « Mali d’aujourd’hui ». Le
16 octobre à 20 heures. Avec
Boubacar Traoré, bluesman
malien (nouveau disque Samba,
chez Indigo) ; Toumani Diabaté,
virtuose de la kora, en duo avec
Ballé Sissoko ; Habib Koité, fils
spirituel de Boubacar Traoré, qui
gagna une bonne partie de
l’Afrique de l’Ouest à sa cause
avec un titre au militantisme
joyeux, Cigarette a bana (« la
cigarette, c’est fini »).
b « Musiques du Mali, du
Sénégal et de la Guinée ». Le
17 octobre à 16 h 30. Avec le
groupe Bajourou ; Kassemady
Diabaté, chanteur malien ;
M’Bady Kouyaté,
harpiste-soliste de l’Ensemble
instrumental de Guinée ; le
chanteur Cheikh Lô.
« Le Mandingue : l’empire de la
parole », Cité de la musique, 211,
avenue Jean-Jaurès, Paris-19
e
.
M
o
Porte-de-Pantin. Tél. :
01-44-84-44-84. 90 F et 120 F.
Les rêves d’Alioune Mbaye Nder, jeune star sénégalaise
DAKAR
de notre envoyé spécial
La nuit tombe sur Monaco Plage,
espace de loisirs fermé situé à quel-
ques minutes du centre de la capi-
tale sénégalaise ; dans quelques
jours, les vacances scolaires seront
remisées au rayon des souvenirs,
accessoires ou pas. Pour ne pas y
penser, une foule de plusieurs mil-
liers d’adolescents a choisi de faire
la fête sur le sable et dans les
vagues de l’océan tandis que sur un
petit podium, installé près d’une
sorte de club-house tropical, les
jeunes figures de la scène musicale
dakaroise font entendre les extraits
de leurs cassettes, passées et fu-
tures. L’heure est à la danse. Tout à
l’heure, quand Alioune Mbaye
Nder et son Setsima Group monte-
ront sur le podium, c’est de transe
qu’il s’agira tant le chanteur a
connu dans son pays une ascension
fulgurante.
Nder a trente et un ans, trois cas-
settes derrière lui qui toutes ont at-
teint le sommet des hit-parades et
désormais un CD, album de la
consécration et outil de conquête
de nouveaux publics, loin de ses
bases. Nder est beau, au point de
chavirer les cœurs et de stimuler les
corps qui se livrent sans pudeur à
des joutes sensuelles aux premières
mesures de ses chansons. Nder est
une star et veut élargir le cercle de
ses admirateurs. Nder est l’auteur
et le compositeur de la presque to-
talité de ses morceaux ; il chante,
en wolof ou en français, l’amour, la
vie quotidienne de la jeunesse sé-
négalaise, ses angoisses, ses cou-
rages, ses solidarités, comme l’a fait
en France Jean-Jacques Goldman,
son idole, l’homme qu’il voudrait
rencontrer et dont il rêve de faire le
producteur de son prochain album.
La musique de Nder est une bonne
variété aux sonorités pop, arché-
type d’un honnête m’balax cher à
ceux qu’on a appelés les « embal-
leurs » de Dakar – réminiscences
du phrasé des griots, talking drums
(tambours traditionnels), guitares
et claviers occidentalisés... – et pré-
figuration d’un son déjà prêt à l’ex-
portation.
JAGUAR PRÊTE À DISPARAÎTRE
Fils d’un tambour-major de
Thiès, grande ville à une heure de
route de la capitale, Nder était plu-
tôt un enfant danseur, invité dès
l’âge de six ans lors des fêtes de cir-
concision. Il a très tôt laissé tomber
ses études pour travailler avec son
frère aîné à Dakar et, au début des
années 80, a commencé de se
chauffer la voix au sein d’un groupe
dont il a entendu la musique par
hasard, en passant devant un ga-
rage. Premiers éclats : la vie du
quartier s’arrête et une petite foule
se masse autour de lui. « J’avais la
voix, dit-il, il fallait l’exploiter. » Ce
qu’il fait en 1991, où il devient chan-
teur en titre d’un groupe, puis d’un
autre et enfin de Lemzo Diamono.
Il est déjà reconnu quand il fonde
son propre groupe, le Setsima, en
1995, et lance ses cassettes sur le
marché sénégalais. Le succès est là.
Le Setsima Group ne faiblit ja-
mais quand Nder quitte la scène. Il
faut que la musique continue pour
« couvrir » la sortie de la diva qui
ne peut saluer ses fans pour des rai-
sons de sécurité. C’est en courant,
sous la protection de quelques
proches, que le chanteur rejoint sa
Jaguar prête à disparaître sur la
route en aplomb de la plage. Pas de
loge, de douche, de pause... L’en-
thousiasme de la foule ne le permet
pas. La nuit est tombée. A l’arrière
de sa limousine, Nder a du mal à
respirer. Une heure trente en plein
air, en pleine chaleur, ça use son
homme. Il fait éteindre la climatisa-
tion pour reposer sa gorge et de-
mande qu’on place dans le lecteur
une cassette de John Williams – la
bande-son de Titanic. Tout à
l’heure, on entendra Céline Dion,
celle qui a eu la chance de travailler
avec Goldman, l’idéal d’un Nder
conquérant.
O. S.
夝 Nder & le Setsima Group, 1 CD
Night and Day-Africa Fête AFD
002.
Cheikh Lô, protégé de Youssou N’Dour.
THOMAS DORN
MUSIQUE
Figure de proue du
m’balax, star dont la notoriété a de-
puis longtemps dépassé les frontières
de l’Afrique de l’Ouest, le chanteur
sénégalais Youssou N’Dour est à la
tête, à Dakar, d’un empire en crois-
sance comprenant une maison de
disques, un studio et un groupe de
communication, COM7 SA, qui réunit
un quotidien d’informations, une ra-
dio et une imprimerie. b YOUSSOU
N’DOUR, qui annonce un nouvel al-
bum pour janvier au plus tard, vient
de produire le deuxième disque de
Cheikh Ndiguël Lô, chanteur-compo-
siteur-guitariste habité par la spiritua-
lité. b CETTE RÉVÉLATION vient à Pa-
ris dans le cadre d’un cycle consacré
aux musiques mandingues, à la Cité
de la musique de La Villette.
b ALIOUNE MBAYE NDER est une des
étoiles montantes du m’balax. Les ap-
paritions en concert de cet admira-
teur de Jean-Jacques Goldman pro-
voquent la transe des adolescents.
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